LE GRAND PROCÈS.

La presse externe réagit au verdict.

Du Toronto Mail.

L’acquittement de Carroll, ainsi que le quasi-abandon par la Couronne de la poursuite contre les autres prisonniers, met pour l’instant un terme à l’affaire la plus célèbre et brutale de nos annales criminelles. Que cinq personnes aient pu être cruellement mises à mort était assez lourd pour la conscience de tous; mais cet échec judiciaire est encore plus déplorable. Cela signifie tout simplement que dans notre prétendue civilisation la vie humaine n’est pas en sécurité et que la loi peut être défiée en toute impunité dans certaines régions du Canada. Nul aveu n’est plus humiliant. Une dépêche dans un autre article rapporte l’exécution de quatre hors-la-loi métis en Colombie Britannique; mais leurs crimes sont de loin moins graves que la tragédie commise, à moins d’un jour de route de la capitale de l’Ontario, par des hommes civilisés, qui demeurent encore impunis. Nous ne sommes pas ici pour faire subir un nouveau procès à Carroll. Il a été traduit deux fois en justice, et la Couronne s’est évertuée à avancer des preuves; mais il a été acquitté les deux fois, et quelle que soit l’opinion quant à la culpabilité morale, selon la loi il est innocent; et ils le sont donc tous. Un vieil adage dit que « tout finit par se savoir », et il est plus que probable que les coupables seront alors démasqués. Johnny O’Connor nous a raconté ce qu’il a vu cette nuit-là, mais le jury a mis de côté son témoignage parce qu’il n’était pas corroboré par d’autres preuves directes ou circonstancielles valables. Mais dans des cas de ce genre, où l’épouvantable secret est partagé par plus d’un meurtrier – et il est assez clair que ce crime est l’œuvre d’un groupe organisé – il est certain qu’il y aura des fuites. Le serment qui unit des partenaires ne peut pas toujours l’emporter sur la conscience. Ceci, cependant, est loin d’être satisfaisant. Qu’une famille entière ait été massacrée dans des circonstances de la plus grande atrocité et que la justice n’ait pas le bras assez long pour atteindre les meurtriers, sont des faits qui entacheront à jamais la bonne réputation de cette province.

[...] Du Globe

L’acquittement de James Carroll, qui a subi deux procès pour le meurtre d’un membre de la famille Donnelly, marque la fin d’une autre étape dans la désormais célèbre affaire de Biddulph. Les autres prisonniers accusés d’avoir participé au même crime seront probablement libérés sous caution, sans possibilité d'être bientôt traduits en justice. L’échec de la justice en cette affaire a été jusqu’ici total. Dans un voisinage densément peuplé, trois membres d’une même famille ont été cruellement assassinés de sang-froid et leur maison incendiée avec leurs dépouilles, et très peu de temps après, la même nuit, un quatrième a été tué par balle quelques miles plus loin, dans un coin encore plus peuplé; et pourtant il a été impossible d’imputer l’un ou l’autre de ces crimes à qui que ce soit de l’avis d’un jury. Quelque chose ne va vraiment pas dans une telle situation. Il ne fait aucun doute que certains membres de la famille Donnelly se sont montrés odieux envers leurs voisins, bien que les histoires aient été incontestablement exagérées quant à la terreur qu’ils inspiraient. Mais même s’ils avaient été encore pires que ce qu’en disaient leurs pires ennemis, cela ne justifierait pas le massacre brutal non seulement des présumés criminels mais aussi de personnes qui n’avaient rien fait de mal et dont le seul crime était d’être parent avec les principales victimes. Le crime commis par les hommes qui ont tué les Donnelly était infiniment plus grave et sombre que tout ce qui a pu être reproché à ces derniers et ne pas parvenir à condamner les auteurs d’un acte si crapuleux demeure une tache sur notre administration judiciaire.

L’acquittement de Carroll par le jury ne l’absoudra pas complètement dans l’opinion publique d’avoir été complice dans le crime. Des preuves plus solides, tant directes que circonstancielles, ont rarement été déposées contre un homme qui a échappé à la potence en dépit de celles-ci. L’histoire du jeune O’Connor, racontée lors de divers procès avec force détails, et demeurée en grande partie inchangée au fil des contre-interrogatoires répétés et prolongés, ne peut être si facilement balayée. Les divergences entre ses différentes déclarations n’étaient pas plus importantes que celles issues des témoignages en faveur de la défense, alors que les preuves circonstancielles tendent à étayer la foi en ce qu’il dit. Nul ne doute que plusieurs personnes étaient liées lors de la perpétration de ce crime. Il ne fait pas non plus de doute que ces personnes appartenaient au voisinage immédiat. Le crime était hors de tout doute prémédité, le résultat d’une conspiration réfléchie et probablement connue de plusieurs. Il existait dans la localité une organisation du genre communément appelé « comité de vigilance », dont l’objectif avoué était d’éliminer les actes criminels, comme ceux auxquels les Donnelly étaient réputés s’adonner. Certains membres de cette société secrète sont connus pour avoir entretenu la plus amère hostilité envers l’infortunée famille et il est prouvé que Carroll même a utilisé un langage particulièrement violent à l’endroit du vieux Donnelly. Le fait qu’un constable ait prêté ses menottes à Carroll peu avant le meurtre est une singulière confirmation du récit du garçon dans lequel il révélait que Tom Donnelly avait été menotté avant d’être assassiné. La tentative de prouver un alibi était en certains cas très faible et en aucun cas appuyé par un témoignage clair ou convaincant. À la lumière de tout ceci, un verdict d’acquittement signifie que le jury a fait preuve d’un soin méticuleux pour observer la directive stéréotypée d’accorder au prisonnier le bénéfice de chaque doute.

Alors que tant de gens sont au courant – car ce serait faire l’autruche que de ne pas croire que tous les faits sont connus d’un cercle relativement large – il est toujours possible que l’on découvre encore de nouvelles preuves. En fait, il est loin d'être certain que d’autres importantes révélations en lien avec la cause viennent s’ajouter, et la conclusion du procès actuel fait en sorte que chacun des accusés, y compris Carroll, peut de nouveau être traduit en justice pour l’un ou l’autre des meurtres. Il est à espérer que justice sera un jour ou l’autre rendue et que si ceux qui sont présentement soupçonnés sont en fait innocents, que leur innocence sera clairement établie. D’autre part, s’ils sont coupables, il est extrêmement souhaitable que la loi soit appliquée dans leur cas. Il faudra alors saisir cette occasion pour en tirer avantage afin de rétablir la situation à Biddulph. Si les magistrats locaux avaient été prêts à accomplir leur devoir les choses n’auraient jamais pris la forme d’une vendetta, au sein de laquelle il est difficile de répartir la faute. Nul ne devrait accepter le mandat de juge de paix, à moins qu’il soit disposé à faire tout en son pouvoir pour que la paix soit maintenue. Il y a un côté humiliant pour la nation au crime et à l’échec subséquent de la justice, mais il peut encore ressortir du bon de cet acte abominable.

Du Hamilton Times

Jusqu’où les préjugés locaux, ou la peur des répercussions futures, ont-ils influencé le jury pourrait ne jamais être établi. Nous pouvons seulement penser, qu’au bout du compte, il aurait été plus satisfaisant que les juges aient d’abord changé le lieu du procès et ainsi libéré les membres du jury du moindre soupçon d’être indûment influencé de quelque manière que ce soit. À la vue de ce qui s’est passé à Middlesex au cours des douze derniers mois et avec tout le respect que nous devons à Leurs Seigneuries, nous croyons que cette procédure aurait donné la plus grande satisfaction à la population dans son ensemble.

Source: Unknown, "The Great Trial - Opinions of the Outside Press on the Verdict," London Advertiser, février 4, 1881.

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