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Voyage de Pehr Kalm au Canada, 20 septembre 1749. Les dames de Montréal.

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En général, les dames de Montréal semblent être plus jolies que celles de Québec, si j'ose m'exprimer ainsi et bien que je ne sois pas très compétent en ce domaine. Je crois également que les premières, en particulier lorsqu'elles appartiennent à la haute société, surpassent de beaucoup les secondes dans le domaine de la chasteté. On

[ La Canadienne, Anonyme, Ville de Montréal. Gestion de documents et archives  ]

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dit en effet qu'existe à Québec une façon de vivre trop libre, spécialement chez les femmes mariées qui, paraît-il, sont présentées aux nombreux jeunes Français qu'amène chaque année la marine royale; ils stationnent à Québec durant un mois ou davantage et n'ont alors d'autre moyen d'occuper leur temps que de rendre visite à ces dames avant de regagner la France. Ces jeunes officiers, par contre, montent rarement jusqu'à Montréal. On peut également dire avec certitude et sans porter atteinte à la vérité que la femme de Montréal et particulièrement les jeunes filles sont plus appliquées que leurs homonymes de Québec à tout ce qui relève de la tenue du foyer, de la couture, de la préparation des repas, etc. La femme de Québec est en général aussi paresseuse qu'une Anglaise et bien plus portée qu'elle encore sur les questions sentimentales. On dit qu'il existe à Québec une pauvre fille qui, à dix-huit ans, était incapable de dénombrer les amoureux qu'elle avait eus, non plus que ceux qu'elle avait alors. Les femmes de cette ville, en particulier celles de la haute société, ne font guère autre chose que se lever à 7 h., s'habiller, se poudrer et se friser jusqu'à 9, tout en prenant leur petit déjeuner, qui se compose ordinairement de café au lait; elles se parent ensuite de façon magnifique, s'asseoient sur une chaise près d'une fenêtre ouverte qui donne sur la rue, un ouvrage de couture à la main, auquel elles font un point de temps en temps; mais elles ne font pas souvent de points, car leurs yeux sont continuellement tournés du côté de la rue; et si quelque jeune homme, quelque étranger ou personne de connaissance vient à entrer, la jeune fille abandonne son ouvrage, s'asseoit le plus près possible du jeune homme, cause et bavarde avec lui, sourit et pouffe de rire, et la langue marche comme les ailes de l'hirondelle, sinon plus rapidement. Lorsque quelqu'un est parvenu à la science de la moquerie aimable, lorsqu'il sait lancer des mots à double sens, cela s'appelle avoir beaucoup d'esprit [sic]. Et toute la journée s'écoule de la sorte sans que la jeune fille veuille s'adonner au plus léger travail ; elle ne veut que rester assise et bavarder avec les jeunes gens; j'ai remarqué que ces demoiselles n'ont pas les mêmes dons naturels que Julius Caesar, cet homme capable d'accomplir trois occupations différentes simultanément; la jeune fille canadienne, elle, n'en est pas capable, puisqu'il lui est impossible de converser avec un jeune homme et de continuer à coudre; la couture, on l'abandonne jusqu'à la prochaine occasion. On voit souvent la mère de famille en train de préparer le repas à la

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cuisine tandis que sa fille tient compagnie aux hôtes; de même, la mère se lève presque toujours plus tôt que les filles, une ou deux heures avant elles. Même à l'intérieur de la maison, les jeunes filles sont chaque jour habillées d'aussi magnifique façon que si elles étaient invitées à dîner chez le gouverneur-général. Elles portent sur elles toute leur fortune, et même parfois davantage, rien que pour être splendides. Qu'il reste ou non quelque argent dans la bourse, on ne s'en préoccupe guère. Les hommes sont atteints du même mal dans le domaine de l'élégance vestimentaire, en particulier les jeunes militaires et messieurs les officiers. Ils mettent presque toute leur fortune dans le vêtement et c'est pourquoi leurs enfants ne reçoivent pas grand héritage. Telles sont les préoccupations des femmes de Québec. Elles perdent plusieurs heures, chaque jour, à arranger leur tête et leurs cheveux en l'état qu'elles souhaitent leur donner; elles sont obligées de consacrer à ce même office un bon moment de la soirée et un temps équivalent, sinon plus long, chaque matin. Mais on les voit se nourrir parcimonieusement et ne pas trop dépenser dans les autres domaines, alors qu'elles se promènent en des parures dont la splendeur surpasse tout, exactement comme si elles se rendaient à la Cour. Les jeunes filles de Montréal ne sont pas superficielles à ce degré-là ; on les trouve presque toujours assises en train de coudre et elles mettent également la main à d'autres travaux ménagers; il n'est pas rare de les rencontrer à la cuisine avec la domestique; elles ne pouffent pas de rire autant que celles de Québec, bien qu'elles soient par ailleurs assez enjouées et aimables et que personne ne puisse dire qu'elles sont dépourvues de charme et d'intelligence. Mais ce qui manque à une grande partie d'entre elles, c'est la richesse, un grand héritage, de l'argent; plusieurs enfants au foyer, des revenus modestes, voilà ce qui explique que ces jeunes filles manquent parfois de quelque chose. On remarque également que les jeunes filles de Montréal, lorsqu'on les charge de travaux ménagers, ont un savoir-faire qui vaut celui de n'importe qui au monde. Elles ne croient pas indigne d'elles d'aller faire le marché, d'acheter des melons d'eau, des citrouilles, ou d'autres choses qu'on y vend, ni de les rapporter elles-mêmes à la maison. J'ai vu faire cela par les jeunes filles les plus distinguées de la ville, issues de la haute et vieille noblesse. Le matin, elles sont levées avant le diable en personne et le soir nul ne peut les trouver au lit. Ce qui les dépite, cependant, c'est que les jeunes filles de Québec se marient ordinairement plus vite qu’elle. On donne pour raison à cela que les nombreux français qui viennent à Québec avec leur navire, y tombent parfois amoureux et se marient. Mais comme

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il est rare que ces mêmes hommes montent jusqu'à Montréal, les jeunes filles d'ici ne jouissent pas de la même chance.

Source: Kaml, Pehr, "Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749" (Montréal: Pierre Tisseyre, 1977), p. 440-443. Notes: Traduction annotée du journal de route par Jacques Rousseau et Guy Béthune avec le concours de Pierre Morisset

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