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Gouvernement du Canada, 1749.

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J’ai dit précédemment quelque chose du gouvernement de ce pays-ci. Je veux aujourd’hui introduire une note qui a quelque parenté avec ce sujet. Les habitants du Canada n’ont pour ainsi dire rien à verser jusqu’à maintenant au roi : on a cependant inauguré quelque chose l’an dernier, à savoir que l’on doit payer trois pour cent sur toutes les marchandises importées de France à titre commercial ; on doit au surplus payer un certain pourcentage sur toutes les fourrures exportées en France du Canada; mais on n’a rien à payer pour les mêmes marchandises à destination des colonies françaises, ni pour en importer d’autres de ces régions-là. On dit que les navires ont liberté d’apporter ici leur cargaison en provenance de toutes les régions et colonies françaises et, de même, les négociants de Québec ont l’entière liberté d’expédier leurs marchandises vers chacune des provinces et colonies françaises. Mais ces derniers possèdent généralement peu de navires, car les gens du Canada exigent de hauts salaires et ce sont les négociants français qui expédient eux-mêmes ici leur marchandises. Celles-ci partent principalement des villes françaises suivantes : en premier lieu, La Rochelle et Bordeaux, mais aussi Marseille, Nantes, Havre-de-grâce, Saint-Malo, entre autres. La marine royale qui apporte ici, chauqe années, des marchandises et d’autres choses, part de Brest ou de Rochefort. Les négociants de Québec affrêtent cependant quelques navires, sur lesquels ils expédient de la farine, du blé, des pois, du bois, etc., en direction des îles françaises de l’Amérique du Sud.

Les murs qui encerclent la ville de Montréal ont été construits au compte du roi voilà environ une dizaine d’années, sous cette réserve que la ville aura à rembourser peu à peu le trésor royal, jusqu’à épuisement de la dette. La ville verse annuellement 6.000 livres à la Couronne au titre de ces murailles, et les prêtres y contribuent pour le tiers, tandis que le reste est à la charge des habitants. Le roi a fait construire les murailles de Québec à ses propres frais, sans en grever les habitants, car ils ont par ailleurs la charge des taxes douanières.

La Compagnie des Indes a le monopole du commerce des fourrures de castors et seuls ses employés peuvent s’en occuper. Quant aux autres fourrures, chacun a toute liberté d’en faire le commerce. Il existe plusieurs endroits, à l’intérieur du Canada, où les Français possèdent des dépôts de marchandises ; on les appelle les postes. Sont seules propriétés du roi les forteresses de Québec, Fort Chamblais [Chambly], Fort Saint-Jean, Saint-Frédéric, Montréal, Frontenac et Niagara ; les autres appartiennent à des commerçants ou à des particuliers. Le roi a en propre le commerce de Niagara. Un habitant de Montréal ne peut pas commercer librement avec les Sauvages ; il doit obtenir préalablement des pouvoirs et la permission du gouverneur-général, et payer à cet effet une somme importante.

À Québec, le gouverneur-général et l’intendant occupent des bâtiments construits par le roi, mais à Montréal rien n’a été bâti pour eux et le roi a simplement donné la permission d’en louer pour ces deux personnages. La maison de l’ancien gouverneur-général, monsieur Vaudreuil a été louée pour le gouverneur-général et on l’appelle le Château. Le gouverneur de Montréal, lui, n’a reçu aucun logement du roi et on ne loue rien pour lui ; il doit se procurer et louer par lui-même un logement. Le roi n’a ici aucune maison qui lui appartienne en propre,

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si l’on excepte la prison.

Le garde-magazin a une fonction assez proche de celle d’un intendant ou, plus exactement, d’un chef des fournitures de chez nous. Il a la garde de toutes les marchandises et provisions alimentaires du roi, de tout ce que le roi fait parvenir ici à destination des sauvages et de bien d’autres choses. Mais il lui est interdit de délivrer quoi que ce soit avant d’en avoir reçu l’ordre, et cet ordre vient du commissaire ou de son fondé de pouvoir.

J’ai dit précédemment que les gens n’ont pas liberté d’aller chez les Sauvages comme il leur plaît pour y faire le commerce des fourrures, mais qu’ils doivent avoir pour cela la permission du gouverneur-général. Celle-ci n’est pas accordée gratuitement ; on doit verser une somme plus ou moins importante selon que la contrée où l’on se rend est de plus ou moins grand rapport. Un négociant qui envoie un bateau rempli de toutes sortes de marchandises et équipé avec 4 ou 5 hommes doit verser de 500 à 600 livres pour y être autorisé, et il existe des contrées pour lesquelles la permission peut coûter jusqu’à 1000 livres. Souvent on ne peut obtenir l’autorisation, même si on n’offre à payer beaucoup, et la raison en est que le gouverneur-général, qui la délivre et touche les droits, a laissé ou veut laisser la place à l’un de ses amis ou parents. C’est le gouverneur-général qui reçoit l’argent, mais la coutume est qu’il doit en abandonner la moitié aux pauvres. Cette coutume est-elle observée avec fidélité ? On ne sait !

Source: Kalm, Pehr, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749 (Montréal: Éditions Pierre Tisseyre, n.d.), p. 520-521. Notes: Traduction annotée du journal de route par Jacques Rousseau et Guy Béthune avec le concours de Pierre Morisset

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