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Deux siècles d’esclavage au Québec. Marcel Trudel. 2004.

L’incendie de Montréal. Le crime le plus spectaculaire qu'un esclave ait accompli dans notre histoire, est celui de la Noire Angélique (appelée aussi Marie-Joseph-Angélique). Esclave d'un marchand de Montréal, François Poulin de Francheville, elle a environ 21 ans lorsqu'on la baptise le 28 juin 1730 : elle est alors enceinte des œuvres de César, esclave noir d'Ignace Gamelin; en janvier 1731, elle donne naissance à Eustache; mais elle ne s'en tient pas à si peu : en mai 1732, elle met au monde des jumeaux et déclare que c'est encore du fait de César. Puis, la Noire Angélique semble délaisser ce premier amant pour tomber dans les bras d'un Blanc, Claude Thibault.

Or un nuage vient assombrir ce roman d'amour : la Noire acquiert en 1734 la conviction que sa maîtresse, Thérèse Decouagne devenue veuve de Francheville, se prépare à la vendre. La Noire se dispose alors à fuir vers la Nouvelle-Angleterre en compagnie de son amant. Pour mieux ménager sa fuite, ou pour se venger, dans la soirée du 10 au 11 avril 1734, elle met le feu à la maison de sa maîtresse, rue Saint-Paul, et s'enfuit. La maison devient bientôt un brasier. Les voisins, constatant que les flammes menacent leurs demeures, se hâtent de transporter leurs meubles et effets chez les religieuses de l'Hôtel-Dieu; mais les flammes continuent de progresser d'une maison à l'autre; elles se communiquent à l'Hôtel-Dieu, brûlant le couvent et l'église, sans que les religieuses puissent sauver grand-chose (c'était le troisième incendie général de l'Hôtel-Dieu). Et le feu de continuer à s'étendre par la ville : quand il s'arrêta, il avait consumé 46 maisons. Pendant cette conflagration, la Noire avait eu tout le loisir de fuir avec son bien-aimé.

Mais la justice a le bras long et, moins heureuse que son amant, la Noire Angélique tomba en cours de route entre les mains des officiers de la maréchaussée. Mise en prison et jugée par le tribunal de Montréal, au milieu d'une ville encore fumante, la Noire reçut sa sentence le 4 juin […]

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Angélique en appela au Conseil supérieur : on lui fit donc faire le voyage à Québec. Par sa décision du 12 juin, le Conseil maintint la condamnation à mort, mais en modifiant d'importants détails du châtiment : comme le spécifiait la première sentence, la Noire serait conduite dans un tombereau à vidanges jusqu'à la porte de l'église paroissiale pour y faire amende honorable, mais elle n'aurait pas le poing coupé; ensuite, menée à la place publique, on la pendrait d'abord et ce n'est qu'après la mort qu'on la brûlerait. Le Conseil supérieur tenait donc compte de la responsabilité partielle de la Noire dans ce sinistre de Montréal. Et on la ramena à Montréal pour qu'elle subisse sa peine sur les lieux de son crime, en présence de la population indignée. […]

Source: Trudel, Marcel, "Deux siècles d’esclavage au Québec, suivi du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français sur CD-ROM" (Montréal: Hurtubise HMH, 2004), 219-221.

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