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Description par soeur Marie Morin de l’incendie de l’Hôtel-Dieu, 19 juin 1721.

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SECONDE INSANDIE generalle de notre monastere, arivee le 19e juin 1721.

[...]La petite feste de Dieu, de cette annee, ariva le 19 juin. La procession generalle du tres Saint Sacrement fut plus solanelle que de coutume a cause que la pluye avoit enpesché qu'on ne la fit le jour. Nos soeurs sacristines marquerent leur zelle a parer notre eglise tout de leur mieux et en firent une chapelle ardante a la mode de Rome, selon le santiment de Monseigneur notre evesque qui en est revenu, il y a peu d'annee, en ce peys. On fait de grandes decharges de fusils et mesme de canons a chaque eglise ou il y a des reposoirs. Ce que l'on fit a la nostre, a la sortie de la procession qui n'etoit pas encorre randue a l'eglise paroissialle de cette ville, dont nous ne sommes pas loin, qu'un estourdy tira un gros coup de fusil dans le portail de notre eglise, qui porta le feu sur la couverture de la ditte eglise et dans la voute, en un momand, et qui s'i aluma d'une sy gran[de] vitesse que plusieurs de nos amis qui se trouverent la presans ne purent point l'etindre, quoy que bien adroits et intelligens. Ce qui fit sonner le toquesin pour appeller du monde a notre secours, voyant le mal sans remede. Il y en vingt bon no[m]bre d'abort, ce qui dura peu, a cause que le feu ce comunica en mesme tamps a la maison de nos malades et de nostre monastere par le toit de l'eglise, qui estoit haute

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et couverte de bardeau de sedre, et les autres aussy, ce qui bruslas aussy viste que la paille, sur tout par un tamps chaud et acompagné de vand, comme il fesoit alors.

Nos soeurs se jetterent d'abort a deparer l'hotel et sauver les ornemans, avec des layques, et sauverent presques tout, excepté le linge salle, qui estoit enfermé dans un coffre fort pezand et dans un segond estage, tout preparé a blanchir et mettre au savonage, ce qu'on avoit a coutume de faire deux fois l'annee, qui a bruslé sur la plasse, et il n'est resté que quelques aubes et surplis, qui estois blanc, en petit nombre.

Le feu alumé dans tout, nos batimens le porterent chez nos voisins qui ne purent enpescher qu'il ne s'i aluma malgré tout leurs soins et diligences a y porter de l'eau, &c. Les premiers pris par le feu fut le sieur Saint Onge, Mademoiselle Renaud, Monsieur Perthuis, Monsieur Francheville [Poulin de Francheville], Monsieur Radisson [Volant Radisson], Mademoiselle Després [Guyon dit Després], Monsieur de Belestre, la vieille menagerie de notre hospital, tous lesquels estois batti sur ces terres a l'autre cauté de la grand rue Saint Paul, de sorte que ces maisons brulerent en mesme tamps que la nostre et firent une insandie qui fesoit freyeur a voir. On n'en avoit point veu de sy grande dans le Canada. Toute la basse ville brusla par ce mesme feu. On compte cent soixante maisons, les plus belles de la ville, [qui fu]rent consommee par le feu, qui apartenois a de riches marchans qui ont perdu, quelq'uns uns une partie de ce qui estoit dedans, et les autres, tout. Non qu'on negligeat de sortir ce qui estoit dans ces maisons, mais il bruslèt dehors dans la plasse et mesme sur le bor de la greve, ce qui donna occation aux fripons de voller par tout.

Le zelle de nos soeurs pour sauver tout ce qui estoit dans l'eglise estoit si ardant qu'elles tarderent trop a faire sortir le saint tabernache qui ranfermèt le tresor

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du Ciel et de la terre. Il fut porté par 4 hommes layques sur le bort de la Riviere crainte qu'il ne brusla. Monsieur de Belmont, vicaire general du diocesze, acourut au secours avec quelq'uns uns des prestres du seminere. Il ouvrit le tabernacle et porta le Saint Sacrement vers l'andret [endroit] de la ville plus a craindre, acompagné des fammes et des enfants, car les hommes travaillois tous a couper chemin au feu, mais innutillement. Monsieur de Belmont voyant que la presance de Notre Seigneur sambloit animer les flames au lieu de les apezer, dit tout haut qu'il voyèt bien que Dieu voulèt punir son peuple et que les peché qu'il avoit commis en ce lieu souflèt le feu et atirèt ce fleau du Ciel, et leur fit connestre que sa justice se declarèt contre nous. La troupe des fammes qui suivois se jetterent la face contre terre criant misericorde avec des voix lamantables.

Les flames courois d'une vitesse extrordinere contre le vant sorois [sud-ouest], qui etoit grand, et se retirois du cauté du nort, et y firent peu de degast ou le vand les poussèt naturellement. Ce qui confirmèt la pancee [pensée] de Monsieur de Belmont, qui porta le tres Saint Sacrement dans l'eglise paroissiale, lessant agir la justice de Dieu, et prièt d'un grand coeur d'avoir pitié de son peuple. Monsieur de Lescoat [Jean-Gabriel le Pape du Lescoat], notre confesseur, y alla aussy, sy penetré de douleur qu'il pleura tout le reste du jour devand le tres Saint Sacrement, faisant amande honorable a Notre Seigneur avec ceux qui se trouverent la en bonne disposition. Madame La Decouverte [You de La Découverte] estoit la derniere maison dans le chemin du feu qui etoit sy proche que les brandons tombois desus, mais elle, plus sage que les autres, promit a Dieu une somme considerable en faveur des ames du purgatoire, et le feu s'aresta aussy tost.

Je reviens trouver nos cheres soeurs qui estois dans une consternation telle qu'on peut pancer

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en pareille congoncture. Les plus courageuse se mirent a sortir de la maison tout ce qu'elles pouvois porter, la plus grand partie alerent chacun de son cauté comme hors d'elles mesme et dans un grand effroy qui les randèt incapable de ce randre service a elle mesme et aux autres.

La plus grande partie des hommes qui acoururent d'abort pour nous secourir se retirerent pour aller secourir leurs amis, qui estois dans le mesme enbaras que nous, et il en demeura peu chez nous. Quelques Peres recollets nous aiderent et travaillerent baucoup, a leur ordinere en pareil cas. On sortit dehors plusieurs meubles, lits, linges qui furent consommé par le feu sur la plasse. Ce qui nous est resté de linge est le moins bon et tout vieux. Tous nos paquest d'iver ont bruslé. Il ne nous resta que ce qu'on avoit sur son corps, dont la plus grande partie est vieux, toute notre resource et confiance au Seigneur, qui a fait le Ciel et la terre, dont nous avons esprouvé la bonté bien des fois. Notre segont [second] dortoir, qui contenoit dix huit belles cellules bien garnie et meublee de tout ce que la reigle permèt d'avoir, a bruslé entierement, ex[ce]pté la valleur de deux en plusieurs pieces, et tout le premier, le feu ayant pris par le toit de la maison. Ce qui fesoit craindre les hommes qui aurois pu y monter a cause du danger d'y estre bruslé.

Tous nos batimans furent consommé en moins de trois heures, qui contenois plus de trois cens cinquante pieds solidemens faits et a profit. La cloche de notre eglise de 300 pezant y a fondu et celle de nos opservances, qui avois le son ou timbre fort estimé des savans en ce fait. [...]

Source: Morin, Marie, "Histoire simple et véritable : les annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal, 1659-1725" (Montréal: Bibliothèque des lettres québécoises, Les Presses de l’Université de Montréal, 1979), p. 292-295. Notes: Extrait du journal pour l'année 1721. Original conservé aux Archives des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph de Montréal. Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal, Orig. ms, 1A 4/ 2-3, Marie Morin, pages 292-295.

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