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La dissension s’intensifie parmi les Doukhobors au début des années vingt , p. 35-72

M. McINTOSH : Maintenant, je voudrais lire des extraits du livre de Peter Malloff, Dukhobortsy, Ikh Istoriia, Zhizn' I Bor'ba. ... Je vais faire référence aux pages originales dans Malloff ... en fait de 130 à 171 [...][fin de la p. 35]

Il serait faux de conclure de ce qui a été dit que la Christian Community s’était complètement désagrégée. En 1920 et 1921, la communauté représentait encore un royaume spirituel puissant et fermement uni. Les rumeurs de gestes malhonnêtes par certains hommes en poste étaient principalement des rumeurs, même si elles prenaient de l’ampleur progressivement. Ils ont prouvé que les vols étaient rares et, en général, Peter Vasilevich n’avait pas encore perdu le contrôle. Il y avait encore beaucoup d’hommes sérieux et idéalistes dans la communauté. Leur foi était grande et n’avait pas été ébranlée par les transgressions de quelques personnes. [fin de la p. 36] ...

Peter Vasilievich, cependant, ne pouvait pas se raconter d’histoires. Il savait très bien que les choses n’allaient bien qu’en surface et que la désagrégation morale minait ses bonnes intentions. Il a tenté d’éveiller la conscience de sa population. Il les a exhortés à la perfection morale et à l'accomplissement de leurs devoirs spirituels. Dans le passé, il avait parfois eu recours à des mesures strictes : refusant leur allocation de farine aux coupables, les excluant de la communauté. Il les a giflés à plusieurs reprises. Mais, de toute évidence, cela l’avait blessé plus profondément que ceux qu’il punissait. Graduellement, il a abandonné ce type de punition envers ceux qui faisaient le mal et il a plutôt essayé la persuasion. [fin de la p. 37] [...]

[p. 43] [En 1921] Peter Vasilievich a reçu un message déplaisant et même alarmant. Cela s’est passé comme suit : une ou deux semaines après la réunion mentionnée plus haut, Peter Vasilievich a dû quitter Verigin [Saskatchewan] pour Calmoor, à environ cent milles de là. Il a invité un jeune Doukhobor qu’il connaissait bien à l’accompagner. Ils ont pris le train et se sont rendus à Canora. Le train y est arrêté pour dix ou quinze minutes selon l'horaire. Aussitôt que le train s’est arrêté, un homme, apparemment très pressé, a sauté à bord et a couru d'une voiture à l'autre. Il était évident qu’il cherchait quelqu’un à bord du train. Cet homme était Nick Hoodicoff. Dès qu’il a reconnu Peter, il est venu s’asseoir à côté de lui. Hoodicoff, très excité, s’est penché vers Peter et lui a chuchoté : « Peter Vasilievich, je te supplie d'être sur tes gardes. Il y a un grand danger qui te menace. J’ai entendu dire que tu devais[fin de la p. 43] passer ici aujourd’hui et je me suis hâté pour venir t’avertir. »

« Vraiment? », a demandé Peter Vasilievich, très surpris.

« Oui, c’est vrai. Ils veulent te tuer. »

« Mais ce ne peut pas être vrai, a répliqué Peter Vasilievich. Pourquoi, je ne peux pas le croire. À qui ai-je fait du tort ou pour qui ai-je été un obstacle? »

Nick Hoodicoff a dit qu’il avait été présent lors d’une conversation de deux [en Russe, « quelques »] conspirateurs qui le croyaient de leur côté. Il n’a pas montré qu’en réalité il était contre eux. Alors ils ont parlé franchement en sa présence sans le soupçonner. Hoodicoff s’est penché très proche de Peter Vasilievich et a chuchoté dans son oreille, mais le compagnon de Peter a pu entendre ce qu’il disait. Hoodicoff a nommé les conspirateurs, trois Doukhobors indépendants et un étranger.

[...]

[p. 45] Après son retour en Colombie-Britannique, Peter Vasilievic a raconté aux membres de la communauté, lors d’une rencontre ouverte à tous, tout ce qui s’était passé sur le train. Son histoire a eu des effets différents selon différentes personnes. La majorité d’entre eux était tout simplement abasourdie, mais en même temps ils ne pouvaient croire qu’une telle prédiction pourrait s’avérer. Leur cœur simple [fin de la p. 45] ne pouvait accepter le triste fait que quelqu’un pouvait être si méchant qu’il oserait commettre un acte aussi mauvais et aussi terrible. Ils soupçonnaient que « Petushka » avait inventé cette histoire pour les faire sortir de leur torpeur. D’autres ont calmement écouté et ont décidé que Peter avait remarqué l’indifférence des gens à son endroit et voulait attirer la sympathie. De toute façon, les gens sont restés pratiquement silencieux.[...]

[p. 64] À l’été 1924 ... la rumeur a couru que Peter Vasilievich avait été tué à Thrums. Cette rumeur a même atteint les journaux. Cependant, le 23 juillet Peter est revenu sain et sauf de Grand Forks à Brilliant. Ils lui ont parlé des rumeurs mais il n’y a pas porté attention. [fin de la p. 64]

À ce moment, l’animosité d’un certain groupe plus matérialiste envers Peter atteint son paroxysme. Des rapports étaient constamment envoyés au gouvernement à l’effet qu’il causait de l’agitation parmi les Doukhobors. Peter Vasilievich avait alors compris qu’il était entouré d’un cercle hostile et que ces personnes avaient commencé à resserrer l’étau. Son unique espoir pour rester en sécurité serait de quitter la communauté et de mettre une certaine distance avec les Doukhobors. Mais il refusait même de penser à cette solution car cela équivalait à trahir ses idéaux. [...] Il savait que comme des personnes réellement religieuses lui demeuraient fidèles, par égard pour eux, il ne consentirait pas à quitter son poste et les laisser à leur sort. Danger ou non, il ne fuirait pas, tout comme une mère ne laisserait pas ses enfants dans une maison en flammes pour sauver sa peau. Mais qu’est-il arrivé aux membres de la communauté? Comment ont-ils réagi à ces circonstances? Ils ne se sont probablement doutés de rien et n’ont pas remarqué ce qui se passait. Tout comme les apôtres dans le jardin de Gethsémani, ils dormaient profondément alors que leur maître priait et souffrait une terrible agonie, sachant que sa fin était proche. Ce n’était pas parce qu’ils ne l’aimaient ou ne le respectaient plus. La majorité lui était encore dévouée. Mais ils étaient accablés par un sommeil spirituel. Dans leur grande naïveté, ils ne pouvaient pas croire que Peter Vasilievich courait un réel danger. Totalement absorbés par les soucis quotidiens, ils ne pouvaient percevoir ou interpréter les signes et les présages annonçant des temps néfastes. En outre, ils n’étaient déjà plus unis. Ils s’étaient séparés en différents groupes. Des courants opposés s’étaient formés et, graduellement, au cœur de la communauté, le mécontentement avait lentement mais sûrement commencé à détruire le travail spirituel de plusieurs années. En surface, tout restait calme et tranquille, mais la discorde interne menait tout droit à sa propre – à la désagrégation de la communauté. [...]

[p. 67] [Maloff décrit] quatre groupes principaux. Le premier était composé de non-croyants, le deuxième, de pseudo-croyants, le troisième, de croyants superficiels ou externes et le quatrième groupe consistait en de vrais croyants qui protégeaient leur foi. Ensuite, il parle des jeunes travailleurs et de la soi-disant aristocratie, les privilégiés de la communauté, les commis et les administrateurs, les membres de la famille de Verigin. Les plus nombreux étaient les femmes de qui il considérait la foi comme réelle mais superficielle sous certains égards. Le quatrième, ceux qui gardaient la foi réelle. Ceux-là, il les disait en minorité.

Bien sûr, Peter Vasilievich lui-même ne pouvait pas manquer d’observer les signes de cette désagrégation. [fin de la p. 68]

[p. 69] Le 15 octobre [1924], Peter Vasilievich était à Nelson et il a passé la nuit à son appartement. Anton Streliaev, le chef de cette [fin de la p. 69] maisonnée était avec lui en tout temps. Ce soir-là, un dentiste local, que Peter Vasilievich connaissait bien, est passé lui rendre visite. Le dentiste était le représentant du district au parlement, alors sa visite était semi-officielle. Peter a eu une discussion très vive avec lui et cela a duré plusieurs heures. L’invité a tenté de lui faire accepter les écoles gouvernementales, mais Peter Vasilievich est resté sur ses positions. [...]

Le 28 octobre, Peter Vasilievich a envoyé un mot à Maria Streliaev, la sœur d’Anton, qui l’accompagnait souvent lors de ses voyages, de venir immédiatement à Brilliant. Lorsqu’elle est arrivée, Peter Vasilievich lui a dit de se préparer à partir avec lui pour Grand Forks. Il y avait des rumeurs de mésentente entre Mary Streliaev et Anastasia Golubeva, mais l’auteur du livre ne connaît pas les détails.

Ce soir-là, quelques personnes se sont réunies dans la maison de Peter Vasilievich. Sam Postnikov, surnommé, (russe) petit grain, n’est-ce pas? Timothy Streliaev, Larry V. Verigin et Ivan Maslov, deux commis; Feka L. Verigina, la servante, et Mary Streliaev. Anastasia n’était pas présente. Peter est resté silencieux pendant [fin de la p. 70] un long moment. Puis il a donné l’ordre d’amener du jus de fruit de la cave. Lorsque ce jus a été apporté, Peter Vasilievich a regardé ceux qui étaient présents et il a dit : « Nous prenons un dernier repas ce soir, de la façon dont Jésus-Christ l’a fait avec ses disciples. Ce n’est pas du vin, simplement du jus de fruit, mais cela ressemble à du vin... Nous allons suivre l’exemple de Jésus-Christ. » Ensuite il a versé le jus dans un verre et en a donné la moitié à Sam Postnikov et l’autre moitié à Timothy Streliaev. Il a dit à Larion : « Je t’ai laissé 20 000 $ en argent dans le bureau. S’il te plaît, voudrais-tu commander plusieurs chargements de farine immédiatement pour que les gens puissent avoir du pain? Il se peut que je parte pour un long voyage et je ne voudrais pas qu’ils aient faim. » Il était dix heures du soir. Les personnes présentes sont allées à la gare pour assister au départ de Peter Vasilievich et Maria Streliaev. Les colons de Grand Forks ont été avisés par téléphone de venir à la station pour voir Peter. Au sifflement du train, Peter Vasilievich s’est adressé à ceux qui étaient venus lui dire au revoir.

« Eh bien, mes frères, au revoir et pardonnez-moi pour tout. Nous partons pour un long voyage. »

Lorsque le train s’est approché, Maria Streliaev, comme si elle avait une prémonition, a dit à Peter Vasilievich, « Petushka, j’ai peur. »

« Tu dis des bêtises », a répondu Peter Vailievich, et il l’a presque transportée dans le train. Lorsqu’ils ont rejoint [fin de la p. 71] leurs sièges, Peter a ouvert la fenêtre, s’est penché dehors et a répété une autre fois : « Au revoir et pardonnez-moi, frères. Nous partons pour un long voyage. »

Source: , , , Kootenay Committee on Intergroup Relations, Volume LXX, "Kootenay Committee on Intergroup Relations [Comité de Kootenay sur les relations intergroupes], volume LXX ," 15 avril, 1986, 35-72.

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