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Rapport d’enquête, 18 juillet 1932

Regina, Sask. 18 juillet 1932
Moose Jaw, document 39336
Winnipeg, document 37147

Rapports d’enquête :

Objet : explosion près de Farron, C.-B., le 29 octobre 1924, dans la voiture-coach de première classe 1586 du train no 11 à bord duquel Peter Verigin père et plusieurs autres ont subi des blessures qui ont causé leur mort.

Conformément aux ordres reçus, je soumets respectueusement le présent rapport produit alors que j’étais en service dans le district de Nelson en mai et juin 1932 pour enquêter sur le vol d’un rail de la voie ferrée du C. P. et sur la tentative de vol d’un autre rail, ainsi que sur des dommages causés à un réservoir d’eau du C. P. situé sur la voie d’évitement à Perry et à la destruction de l’aiguillage du C. P. à Thrums par des explosifs, tous ces attentats ayant été perpétrés près de villages doukhobors, crimes pour lesquels ils seraient les responsables. D’autres actes criminels avaient été commis à peu près au même moment, dont l’explosion de canalisations d’eau ainsi que l’explosion et l’incendie d’écoles situées près des lieux où habitent des Doukhobors.

M. J. P. Burns, chef adjoint, ligne ferroviaire du secteur Ouest, avait installé ses bureaux généraux à Nelson et y travaillait avec des enquêteurs et des constables; il avait pris le commandement des opérations pour tout ce qui concerne sa compagnie. L’inspecteur H. McGowan et les enquêteurs travaillaient de Grand Forks où ils étaient postés. Le chef adjoint était en contact étroit avec P. Cruickshanks, inspecteur de la police de la Colombie-Britannique, qui a son quartier général à Nelson, C.-B., et les deux forces ont coopéré dans cette affaire en tentant principalement de découvrir les responsables de ces actes criminels et de prévenir d’autres crimes au cours desquels la vie et la propriété des citoyens seraient mises en danger. [...]

Au cours de l’enquête, le chef adjoint Burns et l’inspecteur Cruickshank ont obtenu les noms de plusieurs Doukhobors qui pourraient fournir des indications sur les responsables de l’explosion du 29 octobre 1924 à bord du train no 11 où Peter Verigin a été tué et plusieurs autres ont subi des blessures qui ont causé leur mort. [...]

L'homme mentionné comme Blaney est en fait Joseph Blaney, mécanicien de locomotive pour le C. P. et qui habite à Nelson. J’ai questionné M. Blaney, qui a déclaré que la nuit du 28 oct./24, il était monté à bord de la voiture-coach du train de passagers no 11 à Nelson pour aller à Farron où il devait remplacer un autre mécanicien qui était tombé malade à cet endroit. Il y avait un certain nombre de personnes dans la voiture lorsqu’il est monté à bord à Nelson. Avant d’arriver à Castlegar, il a remarqué Peter Veregin et une petite fille assis trois ou quatre sièges devant lui. Pendant l’arrêt du train à la station de Castlegar, M. Blaney a déclaré que deux hommes, qui semblaient être des Doukhobors, étaient entrés dans la voiture-coach avec deux mallettes ou valises qu’ils ont placées près de Peter Verigin, mais il n’était pas certain de l’endroit où ils les avaient placées, juste devant ou juste derrière le siège que ce dernier occupait. Ces hommes ont eu une courte conversation avec Veregin, lui ont serré la main et lui auraient souhaité bonne chance, puis ils ont quitté le train, laissant les mallettes ou valises là où ils les avaient placées.

M. Blaney a pensé que ces hommes transportaient simplement des bagages à bord pour Veregin, ce qui était la coutume chez les Doukhobors; M. Blaney ne connaissait pas les deux hommes et il ne croit pas pouvoir les reconnaître s’il les revoyait, mais il a souvent pensé qu’un des hommes ressemblait beaucoup à J. P. Shukin, l’actuel vice-président des Doukhobors qui travaille pour Peter Verigin fils, mais il ne pourrait pas l’identifier comme étant un des deux hommes et il ne pouvait dire s’il avait revu un de ces hommes depuis cette nuit. M. Blaney a quitté le train à l’arrivée à Farron et, peu après le départ du train de la station de Farron, il a entendu une énorme explosion. Il a couru à sa locomotive et s’est rendu sur les lieux de l’explosion où il a remorqué les voitures qui n’étaient pas endommagées et, plus tard, il a transporté quelques blessés à l’hôpital de Nelson. À part le fait qu’il ait vu les hommes monter à bord du train à Castlegar avec les deux mallettes qu’ils ont placées près de l’endroit où Peter Verigin était assis, et qu’il ait vu les hommes quitter le train, laissant les mallettes derrière, il ne sait rien de plus qui pourrait aider à trouver les responsables de l’explosion sur le train no 11.[...]

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J’ai questionné Peter Hardie, hôtelier à Castlegar, et il a déclaré se souvenir de la soirée du 28 oct./24 et du train no 11 qui avait quitté Castlegar, parce qu’il y avait plusieurs personnes dans son hôtel ce soir-là qui sont parties vers l’Ouest à bord de ce train. Il a affirmé qu’il avait toujours soupçonné un Russe qui était dans les environs depuis un certain temps d’avoir fabriqué la bombe qui a causé l’explosion et a eu comme conséquence de tuer Peter Veregin et plusieurs autres personnes. Il a affirmé que ce Russe, qui séjournait chez les Doukhobors, était un horloger et qu’il était à son hôtel à Castlegar l’après-midi du 29 oct., mais qu’il avait disparu depuis et qu’il ne l’avait pas revu. M. Hardie a décrit cet homme comme étant un Russe, environ 44 ans, de petite taille, 5 pi 7 po, cheveux foncés et moustache, transportant un sac qui contenait des outils d’horlogerie.

J’ai mené une enquête des plus rigoureuses et j’ai parlé de cette affaire avec l’inspecteur Cruickshank, qui se souvenait qu’au printemps 1930, il avait reçu de l’information selon laquelle un Russe correspondant à cette description vivait dans les différents villages des Doukhobors, mais, qu’à ce moment, il ne pouvait le retracer. Le 14 juillet 1930, l’inspecteur Cruickshank s’était rendu à Porto Rico, C.-B, avec l’interprète Spielman. Alors qu’il parlait aux Doukhobors, l’inspecteur avait remarqué un homme qui regardait à travers les épais buissons du côté ouest, à un endroit où ne vivait aucun Doukhobor. George Feminoff avait informé l’inspecteur que cet homme était un Russe qui était en visite depuis quelques jours. La police s’était rendue à l’endroit où l’homme se trouvait et avait découvert une petite baraque et un Russe d’environ 50 ans. Cet homme avait déclaré se nommer Jim Mitgren en anglais et que la prononciation russe était Grishen. Il avait déclaré vivre là depuis janvier 1930 et qu’il était horloger de métier et qu’il se déplaçait un peu partout réparant montres et horloges. L’homme avait été fouillé et d’après ses possessions, on avait découvert qu’il faisait des arrangements pour obtenir un passeport pour retourner en Russie dès son arrivée au Japon, et aussi qu’il avait un frère, un enseignant en Russie et qu’il avait de la famille à l’emploi du gouvernement soviétique. Il avait en sa possession un mandat d’American Express au montant de vingt dollars qu’il avait établi à son propre nom et environ vingt dollars en espèces. Il avait été ramené au bureau de police de Nelson où M. Cowell, du ministère de l’Immigration du Canada l’avait questionné. Après un long interrogatoire, M. Cowell avait informé l’inspecteur Cruickshank que cet homme était déportable mais ne pouvait être déporté en Russie.

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Mitgren (ou Grishen) avait promis à la police et à l’agent d’immigration de quitter Nelson sur le train no 11 du soir vers Penticton et que, de là, il irait vers l’Ouest, réparant des horloges et des montres jusqu’à ce qu’il ait assez d’argent pour se rendre au Japon en route vers la Russie. L’inspecteur Cruickshank avait déclaré que cet homme était un beau parleur et avait des réponses à toutes les questions et qu’il était certain de ne pas avoir obtenu tous les renseignements qu’il aurait pu fournir. L’inspecteur avait trouvé une photographie de l’homme en sa possession et l’avait gardée. À cette époque, on ne savait pas que cet homme avait été dans les environs en 1924 et on lui avait permis de partir.

L’inspecteur a téléphoné à l’inspecteur G. J. Duncan, police de la C.-B. à Penticton, pour discuter de l’affaire et lui a demandé d’essayer de savoir si Mitgren pouvait être localisé dans son district et le sergent lui a répondu qu’il avait questionné Simeon Kamenchikoff, mieux connu sous le nom d’« Orange Sam » ou « Tzar du paradis », ainsi que M. P. H. Keane, un producteur de fruits bien connu dans la région, qui avait déjà employé « Gretchin ». Tous les deux ont affirmé que Gretchin était retourné en Russie il y a deux ans et qu’il y était encore puisque Kamenchikoff a reçu une lettre de lui récemment. Gretchin est décrit comme étant un Russe, 50 ans, de petite taille, environ 5 pi. 7 po., cheveux gris et moustache, horloger de son métier.

En compagnie de l’insp. Cruickshank, nous avons questionné Nick Maloff, fermier doukhobor indépendant de Castlegar. Maloff se souvient d’avoir vu cet horloger dans le district doukhobor en 1924 et qu’il était resté deux nuits avec M. Maloff à Castlegar, mais qu’il ne voulait pas dire son nom à qui que ce soit, prétendant seulement qu’il était « Dieu ». M. Maloff a déclaré que la dernière fois qu’il avait entendu parler de cet homme, c'était en 1930 alors qu’il vivait à Porto Rico avec les Doukhobors. Puisque la photographie de Metro Grishen ou Gretchin était disparue des fichiers de la police de la C.-B. alors que je faisais enquête à cette époque, mais qu’elle a depuis été retrouvée et que le département en a fourni une copie, je recommande respectueusement qu’on montre cette photographie à Peter Hardie, hôtelier à Castlegar, et à Joseph Blaney, mécanicien de locomotive pour le C. P. à Nelson, dans le but de demander à M. Hardie s’il s’agit de l’homme qu’il a vu dans son hôtel le 28 oct. 1924, et à M. Blaney s’il s’agit d’un des hommes qu’il a vus transporter les bagages dans le train à Castlegar, bagages qu’ils avaient laissés à bord.

Je me suis rendu à Shouldice, Alb., où j’ai interrogé Annastasia Lords, qui, jusqu’au 28 oct. 1924, vivait à Brilliant avec Peter Veregin père. Après la mort de Verigin, Annastasia avait tenté de prendre le contrôle comme présidente de la Christian Community des Doukhobors, mais les opinions étaient partagées à ce sujet et Mme Peter Veregin, l’épouse de Peter Veregin, qui vivait jusque là en Russie avec son fils, Peter Veregin fils, était arrivée à Brilliant à l’automne de 1925 afin de paver la voie à son fils Peter pour qu’il prenne le contrôle des Doukhobors et devienne président. Une grande assemblée avait eu lieu à Brilliant pendant quelques jours

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et finalement Peter Veregin fils avait été élu président. Annastasia avait quitté Brilliant avec plusieurs centaines de ses disciples et avait acheté environ deux sections de terre à deux milles de Shouldice où une communauté est maintenant établie et semble vivre dans la paix sans causer aucun trouble. Annastasia a affirmé qu’elle était très heureuse de voir et d’entendre que le C. P. n’avait pas oublié le meurtre de Peter Veregin, mais qu’elle avait complètement changé d’avis depuis la mort de Peter; à l’époque elle avait exprimé l’opinion que le gouvernement et le C. P. étaient responsables. Elle a affirmé que Peter Veregin fils et sa mère étaient arrivés à Brilliant en provenance de la Russie en 1905 et que Peter Veregin les avait logés dans une maison de la communauté et avait ordonné à Peter de travailler, ce qu’il avait fait pour quelques jours et qu’ensuite il s’était refusé à faire, après quoi lui et son père s’étaient querellés. Peter fils avait alors dit à son père et à Annastasia qu’il la tuerait. Finalement, Peter Veregin avait jeté sa femme et son fils hors de la propriété et les avait renvoyés en Russie. Les deux sont repartis en Russie et, en 1906, Peter fils était revenu au Canada seul, était venu voir son père qui avait refusé de le voir et lui avait envoyé un mot pour lui dire de retourner en Russie. Peter Veregin a ignoré sa femme et son fils après leur visite en 1905 et une grande amertume régnait entre eux.

Lorsque Mme Veregin est revenue au Canada en 1925 pour essayer de prendre le contrôle pour son fils Peter, Annastasia et Mme Veregin ne se sont pas parlé et n’ont eu aucun contact. Après son arrivée au Canada, Peter fils est allé voir Annastasia et sa communauté à Shouldice; elle l’a rencontré et a observé qu’il était en état d’ébriété. Elle l’avait alors réprimandé pour son comportement. La deuxième fois qu’il y est retourné, il était de nouveau ivre. Annastasia lui avait dit qu’elle voulait voir une inscription placée sur la tombe de Peter Veregin à Brilliant, et il lui avait répondu qu’il mettrait sur la tombe une inscription qui étonnerait le monde entier. Il lui avait aussi dit qu’il savait tout à propos de qui avait tué son père sur le train du C. P. en 1924, mais qu’il n’était pas encore prêt à parler. La troisième et dernière fois où il est allé à son village, il était encore ivre et elle lui avait envoyé un message pour l’expulser de la propriété. Elle est certaine que le seul objet de sa visite était d’essayer de détruire son village. D’après ce que Peter lui avait dit lors de ces visites, elle est certaine que Peter Veregin fils et sa mère avaient joué un rôle dans la mort de Peter Veregin et dans l’explosion du train, mais elle ne pouvait donner aucune information précise qui pourrait prouver ce qu’elle avançait. Elle croit que le complot pour le meurtre de Peter Veregin a vu le jour en Russie, mais elle ne sait pas qui a perpétré le crime

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pour l'instant elle n'a pas été en mesure de trouver, mais elle espère qu’un jour elle pourra obtenir cette information et elle en informera alors la compagnie avec plaisir en remerciement de l’intérêt que ce département a démontré en tentant de retrouver les personnes responsables de ce meurtre. Je lui ai montré la photographie de Metro Grishen, alias C. Mitgren, mais elle ne l’avait jamais vu auparavant.

J’ai aussi interrogé Larry Veregin à Shouldice. Il a affirmé qu’il n’avait jamais eu de renseignements sur les responsables de la mort de Peter Veregin. Il a affirmé que le 28 oct. 1924, il avait été occupé toute la journée avec la correspondance de Peter Veregin avant son départ pour Grand Forks et qu’il savait que ce dernier partait ensuite pour Spokane, où il devait rencontrer Lazaroff et Baskin, qui s’y rendaient tous les deux en automobile. Il a aussi déclaré qu’il était très habituel que Peter Veregin achète un billet de train seulement pour une partie du trajet, quand il voulait voyager et il m’a informé de manière confidentielle que les chefs de train le laissaient passer sans billet de transport. Il a affirmé qu’il voyageait souvent avec lui et qu’il avait vu cela, ce qui explique le fait que Verigin avait seulement acheté un billet de Brilliant à Castlegar la nuit du 28 octobre 1924. J’ai montré la photographie de C. Mitgren à Larry Veregin et il l’a reconnu comme l’homme qui, en 1924, traînait aux environs du village des Doukhobors à Brilliant se faisant passer pour un horloger. Il savait que c’était un Russe mais n’avait jamais su son vrai nom. Il a affirmé avoir soupçonné qu’il était un fauteur de troubles et qu’il avait demandé à la fin de l’été en 1924 qu’il soit expulsé de la propriété et qu’il ne l’avait plus revu. Il ne savait pas si Peter Veregin le connaissait, mais il ne les avait jamais vus ensemble.

On remarquera dans le rapport du constable R. J. House, daté du 6 nov./24 à Nelson, C.-B., l’existence des preuves A et B mentionnées dans le verdict du jury, soit un réveil et une pièce d’une pile sèche qui seraient des parties d'un accessoire connecté à une bombe à retardement qui a explosé dans la voiture-coach au matin du 29 oct. 24 causant des morts. Selon les témoignages d’experts entendus à l’enquête du coroner, il y avait une connexion, faite d’un petit bout de fil de cuivre ou de laiton, attachée à la roue des heures ainsi qu’une pile sèche avec un morceau d’étain soudé sur le boîtier de zinc de la pile. Ces deux articles ont été trouvés par le constable près de l’endroit où a eu lieu l’explosion. D’après leur apparence, les deux articles semblaient avoir été détruits par le feu et par l’explosion, et ils sont encore entre les mains de la police provinciale à Nelson. Un expert a témoigné à l’enquête à l’effet que l’horloge aurait été démontée au moins une fois afin d’attacher le fil de cuivre ou de laiton à la roue des heures, et la qualité du travail indiquerait qu’il avait été fait far un homme qui connaissait les horloges et leurs mouvements.

Il est fort possible que Metro Grishen alias Mitgren ait participé à la fabrication de ladite bombe à retardement à cause de ses connaissances en horlogerie et de son étrange comportement alors qu’il rôdait dans le voisinage des Doukhobors. Il faut aussi tenir compte de la déclaration de Peter Hardie, de Castlegar, selon laquelle il avait vu cet homme à Castlegar le 28 oct., et qu’il avait ensuite disparu du district jusqu’en 1930, période où on ne peut trouver aucune trace de lui, et aussi de ses liens avec le gouvernement soviétique en Russie, pays où il est retourné vivre.

Il se peut qu’il y ait une partie de vérité dans la rumeur selon laquelle l’assassinat de Peter Veregin aurait été planifié en Russie et il est très possible que Mme Veregin et son fils Peter aient joué un rôle dans cette affaire afin que Peter Veregin fils prenne le contrôle de la communauté doukhobor dans ce pays. Cependant, jusqu’à ce jour, il a été impossible d’obtenir une quelconque preuve pour incriminer les coupables.

Source: Library and Archives Canada, , RG:18; Vol. 3306; File 1924-HQ-750-E-1-1, Unknown, "Rapport d’enquête," 18 juillet, 1932.

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