Taylor Statten, entretien avec Mark Robinson, oct. 1956

Reproduit dans William T. Little, The Tom Thomson Mystery [Le mystère de Tom Thomson], 1970.

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[...] J’étais assigné à la surveillance des gares du lac Joe et du lac Canoe. Il fallait noter les noms des

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personnes qui se présentaient à la gare – qui descendaient aux gares – découvrir leur destination, leur… combien de temps ils allaient rester dans le parc et aussi ce qu’ils allaient y faire comme travail ou, en général, je devrais dire ce qu’ils allaient faire à ce moment-là en lien avec ce qu’ils étaient – artistes ou médecins ou touristes et ainsi de suite. On découvrait ça et on les aidait autant que possible et aussi, si c’était nécessaire, on fouillait leurs bagages pour savoir si ce n’étaient pas des trappeurs qui se faisaient passer pour d’autres.

Un soir, comme j’allais au lac Canoe, quelques gardes étaient venus avec moi, et on est allés au lac Canoe et comme le train entrait en gare et s’arrêtait, un grand jeune homme à l’allure fière avec son sac sur le dos est descendu du train. Quelqu’un m’a dit « C’est ton homme ». Je suis allé le voir et j’ai essayé de lui expliquer calmement et poliment pour finalement me rendre compte que ce n’était pas l’homme qu’on cherchait. Mais il a ensuite demandé où il pourrait trouver un endroit où rester, où avoir un bon lit et de la bonne « bouffe » — c’était ce qu’il disait pour de la « bonne nourriture ».

Eh bien, je lui ai expliqué que l’Algonquin Hotel n’était pas loin, à un quart de mille, et qu’il y avait aussi Mowat Lodge à une distance d’environ un mille et demi – il y avait un homme appelé Fraser à un point d’arrêt connu sous le nom de Mowat Lodge où il trouverait de la bonne nourriture et un excellent lit.

« Je crois que c’est l’endroit parfait pour moi. À quelle distance vous avez dit? »

« Un mille et demi, j’ai répondu. M. Fraser est juste ici, je vais vous le présenter. »

C’est ce que j’ai fait et M. Fraser a dit « Eh bien, je crois qu’on peut vous faire de la place, c’est pas mal plein, mais on va essayer de vous faire de la place quelque part ».

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En fait, M. Fraser avait deux invités et Tom a chargé ses choses dans le chariot de M. Fraser et est parti avec lui vers sa maison.

[...]

Quelques soirées plus tard, j’étais à la gare et la sœur du contremaître, une jeune fille intelligente d’environ 16 ans qui n’avait jamais reçu d’éducation – d’éducation scolaire – elle était incapable de lire son propre nom ou de l’écrire, mais si elle n’avait pas beaucoup d’éducation en la matière, elle s’y connaissait pour ce qui était des tâches ménagères. Elle savait très bien nous faire du pain, des tartes, des gâteaux ou n’importe quoi du genre –préparer un repas qui aurait fait l’envie de toutes les femmes. Ce soir-là, cette jeune femme est sortie au moment où Tom est venu me voir pour me demander si je voulais voir ses planches. Il les appelait ses planches à esquisses – c’était sa façon de les nommer – et il a dit : « J’aimerais t’en montrer quelques-unes, » et j’ai répondu que je serais heureux de les voir, alors cette

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petite fille – qui n’était pas une petite fille – s’est avancée et elle les a regardées passer par-dessus mon épaule puis il en a sorti une.

« Oh! s’est-elle écriée, les aulnes avaient exactement l’air de ça la semaine dernière. »

Si vous aviez vu le visage de Thomson. Il s’est littéralement illuminé. Par la suite, il m’a affirmé que c’était le plus beau compliment qu’il avait reçu jusque-là. Il m’a dit : « C’est que je savais que cette fille n’avait probablement jamais vu une esquisse de sa vie et elle a quand même saisi exactement ce que j’avais tenté de reproduire sur ma toile, qu’il m’a dit, sur mon esquisse. Elle a vu tout ça. J’ai alors su que mon travail menait quelque part, qu’il m’a dit, et ça m’a beaucoup encouragé. »

[...]

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[...] C’était en 1912.

En 1913, il est revenu dès le début du printemps et il a fait des esquisses de la glace qui se retirait et, oh, différentes phases de la saison et des arbres qui bourgeonnaient. Oh, il y avait beaucoup de choses comme ça qu’il essayait de peindre – la glace qui fondait – il a continué

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jusqu’à la fin de l’été, alors il a pensé qu’il pourrait être guide de temps à autre. […]

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Il est revenu au printemps de 1914. Il s’est procuré un permis de guide mais il a fait plus d’esquisses ce printemps-là qu’à l’habitude. Je sais que cet hiver-là il avait fait quelques toiles à Toronto. Je crois bien que le Dr MacCallum les avait achetées pour encourager Tom à continuer son travail. Quoi qu’il en soit, il a commencé à faire des esquisses puis la guerre a éclaté. La plupart des hommes qui avaient du sang bleu dans les veines se sont immédiatement enrôlés. Tom a tenté de faire la même chose. Il a été refusé et en a été très blessé, il s’est alors rendu à Toronto pour tenter sa chance de nouveau, mais il a encore été refusé. Il est allé à quelque autre endroit éloigné du pays; on l’a encore refusé. Il est ensuite revenu au parc. Je me souviens qu’il

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regardait autour et qu’il comptait les hommes qui étaient partis, beaucoup d’entre eux étaient devenus ses amis et il s’est consacré corps et âme à la peinture cet automne-là et il – mais je saute des bouts de l’histoire.

L’automne précédent, il avait peint les érables colorés et lorsque ces toiles ont été présentées à Toronto elles ont provoqué beaucoup de discussions et les autres artistes – plusieurs d’entre eux – leurs noms te diraient quelque chose si je pouvais m’en rappeler, ils étaient, eh bien, ils croyaient que Tom avait exagéré. Alors à l’automne de 1914, ces artistes sont tous venus à Mowat Lodge, principalement parce que Tom Thomson avait insisté pour qu’ils viennent voir de quoi les couleurs avaient l’air en réalité. J’avais été assigné au barrage du lac Tea et je n’avais remarqué aucun des artistes en m’y rendant, mais en revenant ils étaient tous sur la petite île sur le chemin du retour où les gens campent habituellement – elle est située au centre du lac. Je pagayais doucement; je faisais attention pour ne pas que le fond du canot accroche alors que je passais près d’eux. Je croyais que personne ne m’avait vu, même si j’avais vu Tom tourner la tête un tout petit peu, mais je pouvais entendre les conversations et j’ai entendu le Dr MacCallum, je crois, si ma mémoire est bonne, il y avait un homme du nom de Rigden, Brig – Brigen, Bridgen, Rigden, Rigden et je crois que Lismer était là et j’oublie les autres. Je ne crois pas qu’A. Y. Jackson était avec eux cette fois-là. J’imagine que Beatty y était, j’ai oublié qui ils étaient, quoi qu’il en soit, ils discutaient et disaient « Tom, tu n’as pas exagéré, tout ce que tu as peint est là, et même plus. » Mais Tom essayait de leur expliquer que c’était une autre saison et que les couleurs étaient plus éclatantes cette saison-ci que lors de la dernière! Il a dit : « Ça va expliquer votre point de vue sur les critiques de mes esquisses précédentes ».

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[...] En fait, en 1914 les couleurs étaient plus éclatantes qu’en 1913 et il faisait continuellement des esquisses, tout comme ses compagnons, et il est resté un peu au cours de l’automne, mais pas aussi tard que lors de l’hiver précédent. Il est retourné chez lui en novembre, je crois.

Mais au printemps de 1914, Tom était de retour et il… était plein d’empressement et d’enthousiasme. En 1915, oui il était de retour, c’était en 1915, je me suis trompé; mais il est revenu en 1915 et est venu chez moi et m’a dit : « Eh bien, j’ai fait tout ce que je pouvais pour m’enrôler et j’ai été refusé mais je vais devenir garde-feu. Je suis déjà allé les voir au Service des incendies et je peux être garde-feu, alors si je ne peux pas occuper un poste dans l’armée, je peux occuper un poste ici à la maison d’un homme qui s’est enrôlé dans l’armée, » et il semblait heureux de pouvoir le faire. Eh bien, il est parti peu de temps après ça. [...]

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[...] Un matin, quelques jours après que Tom soit venu à la maison, j’ai reçu un télégramme disant : « Présentez-vous au poste auprès des Forces actives ». J’ai quitté environ une heure et vingt minutes après à bord d’un train de marchandises. Je n’ai pas revu Tom avant le printemps de 1917.

[...]

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[...] Alors comme il continuait, quelques jours – pas quelques jours, mais plusieurs jours plus tard — … deux ou trois semaines

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plus tard, il est venu à la maison un jour et a regardé autour de lui. « Tu sais, qu’il a dit, j’ai fait quelque chose d’unique en art qu’aucun autre artiste n’a jamais tenté » et je l’entends encore me dire « j’ai un compte rendu de la température sur 62 jours, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, ou qu’il neige, que ce soit sombre ou ensoleillé, j’ai un compte rendu de la température qu’il faisait chaque jour grâce à mes esquisses. J’aimerais les accrocher aux murs de ta cabane. » Tom et moi en avons parlé un peu et je lui ai assuré qu’il pouvait le faire sans problème s’il acceptait d’en assumer la responsabilité puisque je ne pouvais pas la prendre moi-même puisque je n’allais probablement pas être là tout l’été – je ne savais jamais quand j’allais être appelé à partir et des toiles pourraient disparaître et je ne voulais pas être tenu responsable.

Il a dit : « J’en prends toute la responsabilité et je vais les accrocher à ce mur-ci un de ces jours. »

Je crois que c’était environ quatre ou cinq jours avant sa disparition et alors qu’on en discutait – du fait d’accrocher ses toiles – il a mentionné d’autres esquisses qu’il avait faites, et si je me souviens bien, il a dit quelque chose au sujet du concours de pêche qu’on faisait lui et moi et du fait qu’il y avait une grosse truite sous le barrage du lac Tea – je voulais dire le barrage du lac Joe – et cette grosse truite, on avait tous les deux essayé de l’attraper. Elle avait mordu à chacune de nos lignes plusieurs fois, mais on n’avait pas réussi à l’attraper; il fabriquait ses propres mouches et j’utilisais ce que j’avais sous la main. L’hameçon devait être d’une certaine grosseur et on essayait tous les deux d’attraper le poisson de cette façon, mais aucun de nous n’a réussi. Mais le dimanche où Tom est disparu, je m’étais rendu là le matin et j’ai reçu l’ordre de me rendre au lac Source par le chemin de fer pour voir le bois qui venait d’être coupé et qui avait été empilé là et pour voir si le garde-forestier qui s’en occupait le faisait correctement. Je ne sais pas pourquoi j’ai reçu cet ordre, mais je m’y suis rendu et je l’ai exécuté et mon fils aîné était arrivé de Barrie et j’avais amené John

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avec moi ce matin-là – je l’avais enveloppé dans mon vieux trench-coat pour le protéger de la pluie et du vent fort. [Il] soufflait du nord-est, légèrement du nord-est, et ça éclaboussait son visage – nos visages alors qu’on s’y rendait. J’ai jeté un coup d’œil au bois et je suis revenu au lac Joe avec le contremaître de la section dans sa voiture. C’était le dimanche et John et moi avons dîné et, pendant que je préparais à manger, j’ai vu Tom monter avec Mme et M. Coulson jusqu’à leur hôtel. Il a pris une tasse de thé avec eux et un morceau de gâteau et de tarte et autre, je suppose.

Au bout d’un moment, j’ai vu Shannon Fraser qui dirige Mowat Lodge marcher devant la gare puis tourner et remonter la rivière du côté opposé à ma cabane et Tom est arrivé presque au même moment de chez les Coulson. Il avait l’air de transporter une canne à pêche ou quelque chose du genre – j’en étais pas sûr – mais ils sont tous deux venus au barrage du lac Joe. Je me tenais là à les regarder. J’ai sorti mes lunettes pour voir si Tom allait essayer d’attraper la truite et il pointait quelque chose à M. Fraser, et je me suis dit que Tom allait essayer d’attraper la truite et qu’il allait réussir cette fois. J’ai couru jusqu’au rivage en empruntant le sentier près de moi et je me suis assis et j’ai regardé les deux hommes plus bas – Tom lançait sa ligne à l’eau. Peu après, la truite a mordu à l’hameçon et elle se débattait j’ai cru qu’il allait finir par la sortir, mais elle s’est sauvée. Il a esquissé un sourire et a dit : « Eh bien Shannon, je crois que je vais me rendre au barrage du lac Tea ou au lac West ou au lac Gills et je vais attraper une grosse truite et je vais la ramener et la laisser sur le pas de la porte de Mark; il va penser que j’ai attrapé le poisson. » Et moi j’étais assis juste au-dessus d’eux et je les regardais. Tom ne m’avait pas vu, je suis resté assis en silence et alors qu’il remontait sur la berge, il s’est retourné

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et a regardé derrière lui et je lui ai envoyé la main et il a dit : « Salut ».

C’est la dernière fois que Tom Thomson m’a parlé. Et il est retourné chez lui, selon les témoignages recueillis lors de l’enquête il était retourné chez lui, à son petit cottage là-bas qui était connu comme « le mess » et qui appartient maintenant à M. Trainor. Il est passé par là et il a ramassé son canot et ses articles de pêche et il se préparait à partir à la pêche et M. Fraser devait aller chez lui, à Mowat Lodge, pour lui rapporter une miche de pain et une réserve supplémentaire de bacon. Il a placé le tout dans la partie avant du canot et a pris une toile cirée pour l’envelopper, et puis il a tout enveloppé avec, comme ça. Je peux dire que la nourriture était encore dans son canot lorsque le canot a été retrouvé et exactement comme M. Fraser l’avait placée. Il est parti de là à 1:30 pm selon le témoignage de M. Fraser… et plusieurs personnes qui passaient alors à Mowat Lodge m’ont assuré que c’est vers cette heure qu’ils ont vu M. Thomson quitter l’endroit.

Un peu plus tard, les Bletcher, Mlle Bletcher et son frère, sont passés sur le lac et ont vu le canot renversé dans l’eau. Ils ont dit qu’ils n’avaient pas remis le canot à l’endroit; ils ont simplement continué leur chemin et l’ont laissé là et lorsqu’ils sont revenus, le canot avait dérivé quelque part. Ils ont dit qu’il était trois heures cinq, c’est ce qu’ils ont dit dans leur témoignage au cours de l’enquête, il était trois heures – cinq ou six –, quelque chose comme ça, enfin, on a essayé d’obtenir l’heure exacte et les deux ont dit la même chose dans leur témoignage au cours du procès. Et où était Tom Thomson entre une heure trente et trois heures et quelque, ce qui donnerait une heure trente à se promener aux alentours? Ça fait juste un demi-mille de distance. Il y avait quelque chose de louche.

Quoi qu’il en soit, c’est ce qui est arrivé et le lendemain matin Charlie

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Scrim est venu chez moi, des larmes coulaient sur ses joues et une petite larme coulait de temps en temps, et il m’a dit « Mark, ils ont trouvé le canot de Tom Thomson, il flotte à l’envers, juste là, dans cette direction, près du rivage ». Le niveau de l’eau était loin d’être aussi haut qu’il l’est maintenant et je ne comprends pas comment ce canot s’est retrouvé là, dans cette situation et personne ne comprendra jamais je crois. En tout cas, dans Algonquin Story [L’histoire du parc Algonquin] on nous dit que le canot flottait à l’endroit. C’est totalement faux. C’est moi qui ai retourné le canot et qui ai regardé ce qu’il y avait à l’intérieur; son équipement ne se trouvait pas dans le canot – …même sa petite hache avait disparu – et les pagaies étaient attachées en position de portage – la pagaie qu’il utilisait pour pagayer n’était pas là. S’il l’avait avec lui, on ne l’a jamais retrouvée par la suite. J’ai avisé M. Bartlett et il m’a donné l’ordre de me rendre en forêt voir si je pouvais retrouver Thomson.

Cette semaine-là, je me suis rendu tous les jours dans la forêt au sud d’où on était et à l’ouest du lac. J’ai couvert autant de territoire que je pouvais, avec mon fils aîné, et je n’ai trouvé aucune trace de lui. J’arrivais pas à déterminer si ses traces menaient au lac Wilson ou au lac Gill. Et je revenais à la maison chaque soir et je faisais mon rapport à M. Bartlett et il a envoyé trois ou quatre autres gardes et ils ont arpenté le côté est du lac et le côté sud, et une partie du lac plus bas en allant vers le lac Tea, le barrage du lac Tea; ils n’ont trouvé aucune trace de lui. Le samedi soir je suis revenu tard et il m’a dit : « Écoute Mark, tu dois être fatigué de te promener autant ».

J’ai répondu : « Je le suis, que je lui ai dit, mais je peux encore y aller. J’aimerais retrouver Thomson ». Je lui ai dit : « Il doit s’être cassé un bras ou une jambe ou être tombé quelque part et s’être blessé, mais, que je lui ai dit, j’ai marché dans toute la forêt, que je lui ai

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dit, j’ai tiré cinq coups de fusil et j’ai utilisé mon sifflet et, que je lui ai dit, il connaît le signal avec le sifflet comme tout le monde et, que je lui ai dit, je n’arrive pas à trouver de trace de lui ».

« Repose-toi demain », qu’il m’a dit. Eh bien, je me suis reposé le dimanche en me préparant à repartir pour le trouver le lundi.

Tôt le lundi matin, Charlie Scrim est venu à ma porte, des larmes coulant sur ses joues. Il a dit : « Mark, ils ont retrouvé le corps de Tom ».

Je me suis tourné vers lui et j’ai dit : « Quoi? »

« Ils ont retrouvé le corps de Tom. »

« Où? »

Il a dit : « Le Dr Howland ».

« Le Dr Howland, j’ai dit, loge ici même, dans cette bâtisse ».

Il a dit que le Dr Howland était assis à l’extérieur, devant la porte avant, et qu’il avait vu juste là, à droite, quelque chose remonter à la surface de l’eau et que Lowrie Dickson et George Rowe, les deux vieux guides, pagayaient sur le lac, alors il leur a crié de venir dans cette direction et voir ce qui avait fait surface. Le vieux George a dit que c’était telle ou telle sorte de huard, et puis le docteur – je voudrais que vous alliez voir – oh d’accord, ils ont pagayé jusque là et George lui a crié : « C’est le corps de Thomson ».

Il a été retrouvé à moins d’un mille d’ici, derrière Guilder’s Point, juste là, c’est là que son corps a été retrouvé. Ils ont demandé ce qu’il allait en faire. Alors il leur a demandé « Avez-vous une corde? » Ils ont répondu qu’ils en avaient une. Il a dit : « Alors amenez le corps jusqu’au rivage, laissez-le dans l’eau et attachez-le à un arbre et puis, qu’il a ajouté, avertissez les autorités ».

C’est ce qu’ils ont fait et puis M. Trainor et George Rowe ont apporté une couverture et l’ont mise sur le corps dans l’eau et puis, bien sûr, Charlie Scrim est venu

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me signaler la découverte et moi je l’ai immédiatement signalée à M. Bartlett et à ce moment-là il m’a mis en charge de toute l’affaire. Il a dit : « Tu vas devoir t’en occuper au nom du gouvernement ».

Je n’ai pas eu la chance de m’en occuper moi-même; si ça avait été le cas, j’aurais pris bien d’autres mesures.

Quoi qu’il en soit, je me suis rendu là et j’ai vu où le corps était attaché et M. Bartlett m’a dit : « Je vais téléphoner immédiatement au coroner et lui demander de venir tout de suite. Ne touchez pas au corps tant que le coroner ne sera pas là. » Le Dr Ranney était le coroner de North Bay.

Et toute la journée le corps de Tom est resté dans l’eau, ce soir-là aussi, puis le jour et le soir suivants. C’était mon ami et tout ça me mettait hors de moi, alors j’ai appelé le directeur le matin venu et je lui ai dit : « Écoutez, M. Bartlett, Thomson était mon ami et je ne supporte pas qu’il reste là-bas. Ce n’est pas bien. »

Il a répondu : « Je suis d’accord ».

J’ai dit : « Il y a deux entrepreneurs de pompes funèbres ici, M. Flavelle de Kearney et Roy Dixon de Sprucedale. Ils ont un cercueil et une double tombe et on peut sortir son corps de l’eau et faire du mieux qu’on le peut ».

Il m’a répondu : « Vas-y tout de suite, sors le corps de l’eau et dis aux entrepreneurs de pompes funèbres de l’arranger du mieux qu’ils le peuvent ». Et puis il a ajouté : « Fais-le enterrer dans le petit cimetière. »

Il est situé par là, derrière l’ancienne bâtisse de la scierie. On m’a aussi demandé de me rendre à la petite maison là-bas et de regarder ce qu’il y avait là et M. Trainor et moi on a trouvé – je me souviens plus – c’était 40 je crois, ou moins, des 62 toiles et esquisses qui s’y trouvaient et il y avait plusieurs lettres, la majorité provenait de Mlle Trainor. C’était simplement des lettres ordinaires comme s’échangent les garçons

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et les filles, elles n’avaient rien de spécial, et rien ne laissait croire qu’elles contenaient quelque chose de mal, alors je les ai lues; il y en avait une qui n’avait pas encore été ouverte, je l’ai ouverte puis je les ai remises à M. Trainor. Je lui ai dit : « C’est les lettres que votre fille a envoyées à Tom. Prenez-les et donnez-les-lui » et je crois que c’est ce qu’il a fait. On n’a jamais demandé à les revoir par la suite puisque, de toute façon, elles ne contenaient rien d’intéressant.

On s’est rendus sur place, on a pris le corps et on l’a amené là, de l’autre côté de Guilder’s Point, sur la pointe de la grosse île Wapomeo là-bas. J’avais apporté quelques planches et je les ai déposées sur des roches près de là – qui servaient de sièges à des personnes qui se réunissaient autour d’un feu de camp – et on a amené le corps là. Il était très enflé et autour de sa cheville gauche il y avait une ligne à pêche qui semblait avoir été enroulée 16 ou 17 fois. Mais elle était pas complètement entortillée autour de lui – quelqu’un a raconté que ses jambes étaient entortillées dans la ligne à pêche; c’est faux. Elle était enroulée avec soin, un tour, un tour et un autre tour et Roy Dixon m’a demandé si j’avais un couteau bien aiguisé, j’ai répondu que j’en avais un et il a dit : « Pourrais-tu enlever ces fils? » C’est ce que j’ai fait et j’ai compté le nombre de tours. C’est pour ça que je sais qu’il y en avait 16 ou 17. J’ai noté dans mon journal et mon calepin combien il y en avait exactement. Mais je les ai laissé tomber par terre et le Dr Howland et les entrepreneurs de pompes funèbres étaient – à ce moment-là ils tentaient de déterminer s’il y avait de l’eau dans les poumons. Il n’y avait pas d’eau dans les poumons quand on a lavé le corps et ils ont fait du bon travail, ils ont fait diminuer l’enflure pour qu’on puisse le mettre dans le cercueil et qu’il ait l’air plutôt naturel, mais il y avait une marque ici sur sa tempe gauche, comme s’il avait été frappé – frappé avec le bord d’une pagaie, juste au-dessus de la tempe, comme ça. […]

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Eh bien quand son corps a été prêt, embaumé – ils ont utilisé le double de la quantité de solution d’embaumement qui est normalement utilisée – et l’entrepreneur de pompes funèbres m’a assuré que son corps se conserverait plusieurs semaines, des mois même, on a mis son corps dans le cercueil et j’ai été faire mon rapport à M. Barlett. Il a dit : « Mets-le dans la tombe ». On l’a transporté de l’autre côté et on l’a mis dans une petite tombe – sa tombe ici dans le petit cimetière – et les deux anciens guides ont creusé une bonne tombe profonde – environ 6 pieds 4 pouces de profond je crois, et on y a mis le cercueil. On a mis le cercueil dedans, on a récité un petit service funèbre, j’avais apporté le petit livre de prières anglican que j’avais reçu enfant – je le traînais habituellement sur moi – et il, M. Bletcher père, a lu le petit service qui était dedans et ça a été de très belles funérailles. Plusieurs personnes de l’hôtel et des alentours étaient présentes.

Environ deux heures après l’avoir mis en terre, j’ai reçu un message disant que le coroner allait venir chez moi. On a arrêté le train pour le laisser descendre et je devais convoquer les témoins. Eh bien, je me suis dépêché. Vers 10:30 ce soir-là le train s’est arrêté devant la vieille – là devant la maison des gardes, et le Dr Ranney en est débarqué. On a pris une tasse de thé – il n’avait rien mangé depuis un bout de temps – et on s’est rendus là-bas, la maison où Tom s’était arrêté, chez Trainor, la maison de M. Trainor. M. Bletcher est venu et nous a invités à tous aller chez lui. Le Dr Ranney a accepté et on s’est rendus là-bas. M. Bletcher a offert un excellent souper et tout s’est passé à merveille jusque-là.

L’enquête a été ouverte, et on peut lire dans le – et c’est là

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que l’Algonquin Story [L’histoire du parc Algonquin] se trompe – à ce sujet. Le Dr Ranney n’a jamais examiné le corps. Il n’a jamais – il n’est arrivé qu’après l’enterrement. Et il… il ne pouvait se baser que sur les témoignages donnés lors de l’enquête. Le Dr Howland était là et a donné son témoignage avec les autres et presque avant qu’on ait le temps de s’en rendre compte, le Dr Ranney a dit : « C’est clairement un cas de noyade accidentelle; le verdict est la noyade accidentelle ». Un des anciens guides a commencé à protester un peu, mais « L’affaire est close ». C’est comme ça que ça s’est passé. Donc on a amené, j’ai amené le Dr Ranney chez moi et je l’ai mis au lit et le train est passé le lendemain après le déjeuner. Il est monté à bord et m’a encore une fois affirmé : « C’est un cas de noyade accidentelle ». Cette marque à la tête pourrait avoir été causée – mais ça ne servait à rien d’essayer de dire quoi que ce soit, c’était une affaire réglée.

Environ trois jours plus tard, je me suis rendu comme d’habitude à la gare du lac Canoe le matin pour accueillir les passagers des trains et il y avait un cercueil d’acier dont le couvercle était soudé. Je l’ai examiné. J’ai dit : « Qu’est-ce que c’est que ça? »

Le monsieur qui était là a dit : « Qu’est-ce que ça peut bien vous faire? » Je lui ai montré mon badge. Il a dit : « Je suis désolé, c’est le corps de Thomson qui est là-dedans. On l’amène à Owen Sound pour y être enterré ».

Je lui ai demandé, j’ai dit : « Vous ne deviez pas avertir les autorités avant de toucher à une tombe? que je lui ai dit, c’est un cimetière officiel qu’il y a là-bas ».

Il a répondu : « Non, c’est pas nécessaire; quand je reçois l’ordre de déterrer un corps, je le fais ».

Je suis allé en informer le directeur qui m’a dit : « Mark, on a eu assez de problèmes avec cette histoire-là. J’espère que tu vas laisser la poussière retomber, qu’il m’a dit, n’en parle pas; s’ils veulent amener le corps, laisse-les faire ».

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Eh bien ils… il a amené ce qu’il croyait être son corps en tout cas et, une fois qu’il a été parti, le directeur m’a fait venir et m’a dit : « Va au cimetière et, s’ils n’ont pas rempli le trou, fais-le. Referme la tombe » qu’il m’a dit. Et je m’y suis rendu.

Il y avait un trou à un coin de la tombe qui avait… je dirais qu’il n’avait pas plus de 20 pouces et qu’il avait la même profondeur. Une marmotte ferait un trou plus gros que ça, j’ai souvent vu des trous de marmotte deux fois plus larges que celui-là l’était. Peut-être qu’il l’a sorti, que Dieu me pardonne si j’ai tort à ce sujet-là, mais je crois toujours que le corps de Thomson est là. Et je dirais même que je crois que quelqu’un a frappé Thomson à la tête avec une pagaie cet après-midi-là. Je ne crois pas que Thomson soit mort d’une mort naturelle suivant une noyade. Merci. […]

Source: Mark Robinson, Entretien avec Mark Robinson, in Taylor Statten; edited by William T. Little, ed, The Tom Thomson Mystery (Toronto: Toronto, 31 octobre 1956), 183-210. Notes: Publié par William T. Little dans le livre « Le Mystère Tom Thomson », 1970.

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