Kay Kritzwizer, « Thomson : le mythe dissipé, l’homme émerge », Globe and Mail, 6 novembre 1971

La chose la plus flatteuse qu’a accomplie Joan Murray en organisant l’exposition « L’art de Tom Thomson » au Musée des beaux-arts de l’Ontario est d’avoir fait ressortir l’homme qui se cache derrière le mythe. Elle a écarté certaines des déifications romantiques qui entouraient inévitablement le peintre canadien Thomson (1877-1917), à cause de son attitude distante.

Il était romantique. Ses goûts allaient en toute candeur de Maeterlinck à Ella Wheeler Wilcox. Il n’éprouvait pas grand enthousiasme face à la ville, s’y rendant surtout pour gagner sa vie. Il aimait le silence des bois, savait faire des feux (surtout au début du printemps dans le parc Algonquin) et, en qualité de garde-feu, savait également les éteindre.

Il était grand (six pieds), avait le teint foncé et des cheveux noirs qui lui tombaient devant le visage et on raconte qu’il bougeait aussi rapidement que les Indiens avant qu’ils ne se déplacent en motoneige. Un bon gars. Le sujet parfait d’un bon film muet, d’un livre ou de théories controversées à la suite de sa mort à un âge prématuré (à peine 40 ans) en plein milieu des bois et dans des circonstances mystérieuses et inexpliquées.

Même l’héritage qu’il a légué à travers ses toiles tend à être oblitéré par trois influences persistantes : il y aura toujours un journaliste quelque part pour faire de Thomson un des membres du Groupe des Sept, un regroupement de peintres formé trois ans après sa mort, et ses deux toiles célèbres, Le Vent d’ouest et Le Pin.

Des générations d’enfants canadiens ont fait leurs dents en mâchouillant des calendriers de cuisine reproduisant les œuvres de Thomson. Vous voyez comme il est facile de contribuer à l’élaboration d’un mythe? S’agissait-il réellement de reproductions sur ces calendriers. Quoi qu’il en soit, il s’agissait des toiles de Thomson les plus connues, les plus aimées et aucun peintre canadien n’a depuis réussi à peindre des toiles aussi universellement connues.

Toutefois, l’exposition « L’art de Tom Thomson » et les recherches effectuées pour le catalogue rédigé par Mme Murray, la conservatrice de l’art canadien au Musée des beaux-arts de l’Ontario, ont enfin redonné à Thomson toute sa pertinence.

Mme Murray a tenté de garder une question à l’avant-plan lorsqu’elle a commencé ses recherches il y a plus d’un an : « On se demandera toujours ce que Thomson aurait pu accomplir s’il avait vécu plus longtemps ».

Toutes ces pièces de la galerie remplies des œuvres de Thomson nous fournissent un témoignage remarquable de ce qu’aurait certainement été la réponse à la question précédente.

On constate que dès 1914, Thomson a tenté d’exprimer de façon semi-abstraite les formes et les couleurs du Canada. Il s’est débarrassé des anciennes influences de Constable et de Turner et même de celles de Monet et de ce qu’il restait d’Aubrey Beardsleys dans son œuvre pour partir lui-même à la recherche de sa propre vérité.

Mme Murray exprime clairement son opinion : « Si Thomson avait vécu plus longtemps, l’art abstrait ou non figuratif serait apparu beaucoup plus tôt au Canada. On se souviendrait peut-être de Thomson non seulement comme d’un précurseur d’une école nationale de pensée à l’influence omniprésente, et donc restrictive par moments, mais aussi comme d’une figure de libération dont le travail aurait eu pour effet d’amener l’art canadien dans l’ère moderne avec plus de facilité que ce qui s’est réellement passé.

En plus de prouver cette théorie – qui est plutôt provocante – les toiles de Thomson, ainsi réunies, forment une œuvre étonnamment éloquente. Le Vent d’ouest et Le Pin ont véritablement la prestance de chefs-d’œuvre. En les admirant, j’ai ressenti le même frisson me parcourir la colonne vertébrale qu’en voyant Le Paiement du tribut de Rembrandt à Ottawa et le véritable David en Florence l’été dernier pour la première fois.

Cette exposition était attendue depuis longtemps – depuis 1935, alors que Martin Baldwin, le directeur de l’Art Gallery of Toronto, a commencé une étude méthodique de l’œuvre de Thomson. Mme Murray a basé ses recherches sur l’index monté par Baldwin. Des 44 toiles connues, 40 ont été retrouvées. Deux ont été égarées et, grâce à cette exposition – qui se tiendra également à Regina, Winnipeg, Montréal et Charlottetown – Mme Murray a découvert, et même mieux, récupéré les toiles manquantes. […]

Source: Kay Kritzwizer, "« Thomson : le mythe dissipé, l’homme émerge »," Globe and Mail, 6 novembre 1971

Retour à la page principale