Edwin C. Guillet, « Chapitre III – Réflexions », La mort de Tom Thomson, artiste canadien, oct. 1944

La mort soudaine et tragique de Tom Thomson fut incontestablement un grand malheur du point de vue du monde artistique canadien. En quelques années seulement, il était presque parvenu à la perfection en tant que peintre de paysages nordiques et à sa mort il n’avait pas encore quarante ans; la perte de sa production potentielle n’en est que plus déplorable.

La condition dans laquelle se trouvait son corps lorsqu’il a été retrouvé laisse supposer deux causes probables de sa mort. Celles-ci semblent bien plus plausibles que celle qui a été déterminée à l’issue de l’enquête. La première est l’acte criminel et la seconde, le suicide dans un épisode de folie passagère.

Le bleu de quatre pouces au-dessus de sa tempe droite pourrait avoir été causé par un grand coup donné avec une roche, un bâton ou la lame d’une rame; c’est apparemment ce coup qui a causé le saignement de l’oreille droite. Parmi les hypothèses établies avec certitude, il semblerait que le coup et le saignement se soient produits avant le décès puisque le sang ne coule pas d’un corps inanimé. Certaines personnes qui le connaissaient – comme Jack Christie de Sundridge – ont déclaré croire qu’il avait été assassiné. Avait-il des ennemis ayant un mobile assez important pour le tuer?

L’hypothèse du suicide n’est pas totalement impossible, puisqu’on sait que Thomson était maussade et morose par périodes, mais habituellement lorsqu’il se trouvait à la ville et non dans la nature. Une aliénation mentale soudaine pourrait l’avoir poussé à plonger de son canot dans les eaux peu profondes, mais cela semble plutôt improbable.

Thomson était reconnu pour préférer sa propre compagnie à celle des autres et pour être si timide avec les femmes qu’il refusait de visiter ses compagnons

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artistes qui étaient mariés. On a par contre raconté qu’à une ou deux reprises, il aurait vécu une idylle; et l’on comprend à demi-mot qu’il pourrait s’agir là d’un mobile de meurtre. Personne, qu’il soit impliqué directement ou indirectement, n’ose divulguer plus d’information sur le sujet. Feu Sir Frederick Banting, un grand admirateur de Thomson, a déployé de nombreux efforts pour en apprendre davantage dans les environs du parc Algonquin, mais il n’a pas obtenu beaucoup plus que le témoignage d’un vieux garde forestier indiquant que Thomson aurait été assassiné; et lorsqu’on lui a demandé de fournir des détails, le vieil homme a décidé de ne pas le faire. Feu A. H. Robson a également enquêté, mais n’a pas découvert de preuve précise. Toutefois, selon ce qu’il a pu apprendre, Thomson et un guide ou un garde forestier étaient en amour avec la même fille, possiblement une métisse, et Thomson aurait donc été assassiné par son rival.

Pour ce qui est du verdict en soi, on peut se demander comment un homme peut se noyer sans qu’il y ait de l’eau dans ses poumons et pourquoi si peu d’efforts ont été déployés pour expliquer le bleu et le saignement, qui n’ont pas pu survenir après le décès. Il semblerait que l’état de décomposition du corps ait mené à une conclusion trop hâtive de l’enquête.

Un confrère et artiste célèbre, C. W. Jeffreys, a laissé entendre qu’il est peut-être naturel qu’une aura de mystère entoure Tom Thomson dans l’imagination du public :

« Il est presque devenu une légende de son vivant. Le génie a toujours quelque chose de mystérieux. Sa maîtrise soudaine d’une technique aussi magistrale et son interprétation juste de nos paysages nordiques, son habitude à se reclure, son hésitation générale, tout ça faisait de lui un personnage original. »

De façon générale, ses confrères artistes, en particulier ceux qui le connaissaient bien, comme A. Y. Jackson, qui partageait son studio, sont réticents à discuter de la tragédie. L’auteur ne sait pas si cela est dû

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au poids des tristes souvenirs ou si cela a quelque chose à voir avec le mystère entourant sa mort. Sa famille aussi, bien qu’elle admette qu’il y a de sérieux écarts entre l’état de la dépouille de Thomson et la cause officielle de sa mort, préfère encore à ce jour que l’affaire ne soit pas déterrée.

À moins que des aveux tardifs de complicité soient obtenus ou que des preuves bien cachées depuis vingt-sept ans soient découvertes, il est certainement trop tard pour rouvrir l’enquête sur la mort tragique de Tom Thomson, « le peintre à l’esprit de poète ». Par contre, puisqu’il était si habitué aux difficultés et qu’il avait la réputation d’être le meilleur canoteur, pêcheur et guide du district, il ne semble pas être le type de personne sujet à une noyade accidentelle – même si tous les signes pointent, à peu de choses près, vers une conclusion de cette nature.

Source: Edwin C. Guillet, "« Chapitre III – Réflexions », dans le livre « La mort de Tom Thomson, artiste canadien »" in The Death of Tom Thomson, Canadian Artist: A study of the Evidence at the Coroner’s Inquest, 1917, (: Self-published., 31 octobre 1944), 1, 7-9. Notes: L'une des cinq copies

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