William T. Little, « Une excursion de dessin au dénouement bizarre », The Tom Thomson Mystery [Le Mystère Tom Thomson], 1970

[ Leonard Gibson digging at Mowat cemetery site ]

Leonard Gibson creusant au cimetière de Mowat, Inconnu, 1956-09-30, Algonquin Park Archives, APMA 6754, Ces fouilles ont vraisemblablement eu lieu tout juste à l'extérieur de la clôture du cimetière (comme l'indiquent les planches d'appui se trouvant de l'autre côté des planches verticales de la clôture). Dans son livre écrit en 1970, « Le Mystère Tom Thomson », William Little ne précise pas la date à laquelle son groupe a creusé au cimetière de Mowat. Son récit des événements, ainsi que les articles du « Globe and Mail » et du « Toronto Star », situent la date approximative des fouilles au dimanche 30 septembre

[…] En octobre 1956, Jack Eastaugh et moi-même avions quitté Brampton pour nous rendre au parc Algonquin [...] et retrouver les paysages familiers que nous connaissions depuis le collège alors que nous étions conseillers ici au camp Ahmek, avant même qu’un chemin se rende au parc. Le lac Hickey’s, un marais sombre et dense, s’étendait à notre droite alors que nous marchions d’un pas allègre sur le chemin de terre sinueux. Enfin nous avons dépassé les écuries, longues, basses et blanches, ainsi que les corrals aux clôtures blanches et nous sommes arrivés à la cabane de la baie Wigwam.

[…]

Après le déjeuner, nous avons plié bagage et filé à bord de notre canot en direction de la pointe Hayhurst. [...] Nous nous sommes arrêtés pour voir le cairn en pierres des champs qui se dressait au-dessus de la pointe Hayhurst à mi-chemin de la rive est du lac Canoe. Enfin, nous avons atteint la rive à l’endroit où était situé Mowat Lodge avant d’être détruit par un incendie au milieu des années vingt; nous avons marché un demi-mille à travers les herbes longues et denses et un boisé repeuplé de pins au pied d’une montée plutôt escarpée. Jack, qui avait visité cette région plus récemment que moi, nous a menés sans se tromper jusqu’à un gros bouleau surplombant une petite clôture de piquets entourant deux tombes. Pourris en plusieurs endroits, les piquets étaient maintenus en place par de la broche à clôture résistante. J’ai posé mon matériel de dessin et j’ai admiré cette vue magnifique. Le lac Canoe était en contrebas, à environ un quart de mille de nous. […]

Retourner à cet endroit dont le souvenir était depuis longtemps inscrit dans ma mémoire m’a fait penser aux bribes d’information conservées au fil des ans dans ma mémoire et dans mes notes. Je pouvais entendre la réponse que Mark Robinson m’avait faite en 1930 quand je lui avais demandé où au lac Canoe on avait enterré Tom en 1917. « Sa tombe est juste au nord des deux autres », et son commentaire, me parvenant comme un écho du passé, « je ne crois pas qu’ils aient retiré le corps de Tom de sa tombe près du lac Canoe ».

[...]

En observant le sol autour des vieilles tombes, nous avons remarqué les broussailles touffues et les grands arbres verts qui entouraient le secteur nord de la colline et avons conclu que c’était peu probable qu’une tombe se trouve au-delà d’environ vingt pieds à partir du côté nord de la clôture de piquets.

« Pourquoi est-ce qu’on ne vérifierait pas pour savoir si cette tombe est toujours là? » ai-je proposé.

« Ce serait intéressant de savoir si le corps de Thomson est encore ici. »

[…]

Jack et moi sommes revenus en canot à Ahmek, qui était désert à l’exception des ouvriers et des cuisiniers. Durant notre souper avec les hommes, nous avons encore discuté de nos plans pour le lendemain matin. Deux d’entre eux, Frank Braught et Leonard Gibson, se sont montrés vivement intéressés. Frank était un professeur retraité de Guelph, Ontario, et « Gibby » avait travaillé et habité dans la région presque toute sa vie. Les deux hommes connaissaient par cœur les histoires sur Thomson et avaient ce même intérêt que tous ceux qui les connaissaient. Ils avaient hâte de vérifier mes indications sommaires et trouvaient tous qu’il était logique de commencer les recherches juste un peu au nord des seules autres tombes de la région.

[...] Si nous ne trouvions aucune preuve de fausse-tombe ou de cercueil, alors nous saurions que la version officielle (maintenant formellement acceptée par la famille Thomson, le ministère des Terres et Forêts et le bureau du procureur général) était en effet véridique. Cela allait, pensions-nous, faire taire les sceptiques, y compris nous-mêmes, qui se demandaient sérieusement si la présumée exhumation avait bel et bien eu lieu.

Si, au contraire, nous trouvions une tombe contenant un cercueil et un corps à l’endroit où Tom Thomson avait été initialement enterré – « au nord des deux autres tombes » – où il ne devrait à présent se trouver ni tombe ni corps, nous prouverions hors de tout doute que le corps de Thomson n’avait jamais été déplacé de son premier lieu de repos sur les rives du lac Canoe. Nous savions qu’aucune autre tombe n’avait été creusée, et qu’aucun autre enterrement n’avait été répertorié à part ceux du petit Hayhurst, de l’employé du moulin de Parry Sound et de Tom Thomson.

Une fois encore, nous avons discuté des nombreux détails fragmentaires avec lesquels nous étions tous familiers et en sommes arrivés aux mêmes questions à résoudre :

  1. Tom Thomson a-t-il été assassiné?
  2. Si oui, par qui?
  3. Son corps a-t-il été exhumé et envoyé à Leith?

[...]

Un plan macabre – Les fouilles

– Les gars, vous êtes prêts à résoudre le mystère de Tom Thomson? a demandé Gibby.

Après un bon et copieux déjeuner, nous avons réuni nos pelles et nos haches et avons parcouru les deux milles et demi menant à la rive nord-est du lac Canoe – jusqu’à l’emplacement des deux tombes connues. Après une reconnaissance du terrain, nous avons convenu de commencer à creuser dans la région immédiatement adjacente au côté nord de la clôture – nous pensions que la distance approximative correspondrait à une séparation normale de la tombe de James Watson.

Nous avons tous les quatre enlevé les broussailles, puis avons commencé à creuser le sol sablonneux d’un brun rougeâtre. Le bouleau que Jack avait dessiné la veille nous protégeait quelque peu d’une bruine constante, mais les gouttelettes qui tombaient des feuilles au-dessus de nos têtes nous martelaient sans arrêt. Mais personne ne semblait s’en apercevoir, puisque notre enthousiasme grandissait. Nous inspections régulièrement les murs de terre à la recherche d’un indice de fouilles précédentes. Le sol était meuble à l’exception des racines tenaces qui semblaient s’emmêler dans les parties sous-terraines.

À une profondeur de six pieds, il n’y avait rien d’autre que du sable et du terreau meuble et stratifié; nous ne pouvions rien distinguer qui indiquât que le sol avait été remué préalablement. Bien qu’un peu déçus, nous avons accepté avec philosophie le fait que nous devions creuser davantage avant de pouvoir évaluer convenablement la situation.

Nous accrochant à l’hypothèse que les fossoyeurs qui avaient creusé la première tombe de Thomson l’avaient probablement alignée environ à égale distance des autres, nous avons convenu que notre erreur avait été de ne pas creuser à une plus grande distance de la clôture de piquets. Conséquemment, l’emplacement de notre second essai a été établi à quelque trois ou quatre pieds au nord du premier.

De nouveau, nous avons enlevé les broussailles et coupé les jeunes arbres plus résistants. Alors que Gibby et moi commencions à remplir notre premier trou, Jack et Frank se sont mis à creuser le deuxième. Une fois le premier emplacement rempli, Gibby et moi avons rejoint les autres et nous nous sommes appliqués à creuser en silence – notre premier effort avait été ponctué d’interjections spéculatives concernant la possible découverte de la tombe perdue.

La pluie était alors très régulière et nos imperméables et nos manteaux commençaient à devenir lourds et complètement trempés. L’exercice nous tenait au chaud dans cette situation qui aurait autrement été très inconfortable. Nous utilisions les haches plus fréquemment car nous semblions creuser dans un taillis plus dense qu’au préalable.

Nous avons encore une fois atteint la profondeur de six pieds et avons étudié attentivement les murs de la fosse sans y trouver d’indice. Nous arrêtant pour une pause, nous avons considéré la possibilité que le cercueil et la fausse-tombe de Tom avaient effectivement été exhumés par l’entrepreneur de pompes funèbres de Huntsville et envoyés à Owen Sound.

Nous avons commencé à remplir le trou que nous venions de creuser. Jack a arrêté de pelleter et a marché sur une courte distance pendant que, une pelleté à la fois, nous remettions méthodiquement dans le trou la terre que nous avions empilée devant nous et qui devenait rapidement humide.

Jack s’est finalement écrié : « Bill, viens ici. »

Je me suis faufilé à travers les broussailles jusqu’à l’endroit où il se tenait, à côté d’une épinette de vingt-cinq ou trente pieds de haut.

– À quoi penses-tu? lui ai-je demandé.

– Crois-tu qu’il y a quelque chose là-dessous? a-t-il lancé en indiquant de la main une dépression perceptible à environ deux pieds et demi de nous, surgissant au pied de l’épinette.

À quatre pattes sous les branches de l’épinette, nous avons examiné la dépression et découvert qu’elle allait d’un côté à l’autre des branches de l’arbre. Le tronc de l’arbre se trouvait en plein centre de la dépression. En regardant directement au sud de l’emplacement, nous avons remarqué que les extrémités de la dépression se trouvaient en ligne exacte avec les deux tombes et nos récentes fouilles.

– Ça correspondrait à la description de Mark, non? a remarqué Jack.

– Je pense que oui, mais il ne m’est jamais venu à l’esprit que la tombe pouvait être aussi loin des autres, ai-je répondu.

Frank Braught et Gibby se sont empressés de venir voir la dépression. Gibby, un natif de la région qui s’y connaissait, a étudié les côtés en pente du creux d’un bout à l’autre. Frank a immédiatement conclu : « On dirait bien que c’est ce que nous cherchions et c’est de toute évidence en ligne directe avec les autres tombes, exactement au nord de celles-ci. »

La pluie avait cessé, mais le ciel gris et monotone ne promettait rien de bon. Prenant une courte pause, nous avons observé de différents angles la position de la dépression par rapport au principal point de repère, la petite clôture de piquets entourant les deux seules tombes sur le flanc de la colline. Plus nous regardions l’emplacement, plus nous devenions fébriles. Frank, l’aîné de notre petit groupe, a exprimé ce que nous ressentions tous. « Si nous ne la trouvons pas cette fois, je pense que nous devrons conclure qu’il n’y a pas de cercueil et que Tom a dû être déplacé. »

– Je pense que tu as raison, Frank, a admis Gibby.

Jack et moi avons acquiescé d’un signe de tête. Nous étions tous fatigués et trempés. Nous creusions exclusivement à l’ouest de l’arbre et le travail avançait lentement. Les racines étaient beaucoup plus grosses ici – nous utilisions la hache autant que la pelle. Une seule personne à la fois pouvait creuser car le trou était très étroit, ne faisant que trois pieds de diamètre. Chaque homme creusait à tour de rôle, sautant dans la petite ouverture pour creuser, couper, creuser et couper, utilisant la hache d’une main et arrachant les racines de l’autre. De toute évidence, ce serait notre dernière tentative de la journée, probablement même pour toujours. Le trou semblait se rétrécir au fur et à mesure qu’il gagnait en profondeur, surtout parce que nous n’avions plus autant d’enthousiasme ni de forces pour élargir le trou.

C’était mon tour. Je travaillais sans m’arrêter, sachant que le trou était maintenant d’une profondeur et d’une largeur où seule une personne de petite taille comme moi pouvait opérer efficacement. Frank montrait des signes visibles de fatigue et Gibby et Jack me regardaient travailler avec des sentiments ambivalents alors que mon travail avançait plus lentement à partir de cinq pieds de profondeur.

J’ai planté la pelle aussi loin que j’ai pu, retiré une pelletée de terre et j’ai vu un morceau de bois dans le sol. Je l’ai ramassé et l’ai tendu à Jack, qui l’a examiné. Sans faire de commentaire, il l’a passé à Gibby, qui l’a regardé, a jeté un coup d’œil autour de lui et a désigné une vieille souche à quelques pieds de là en disant : « Je pense que c’est un morceau de racine de cette vieille souche de pin blanc; elles restent longtemps dans le sol avant de se décomposer ».

Je me suis remis à creuser jusqu’à ce que j’atteigne un autre morceau de bois et je me suis arrêté pour l’examiner de plus près. « C’est la première fois que je vois une racine qui a un bout biseauté! »

Les autres étaient d’accord : « C’est un morceau de pin – une partie de boîte ou quelque chose du genre. »

C’est Jack qui a dit : « C’est la mortaise du coin d’une boîte – c’est probablement un cercueil ou une fausse-tombe que tu viens de trouver! »

Creusant avec mes mains, j’ai senti un morceau de planche tendre. Quand je l’ai extirpé du sol, un espace vide qui ne pouvait être que l’extrémité exposée du cercueil est apparu. J’ai sauté hors du trou et j’ai montré le morceau de planche qui était dans un état de décomposition avancé mais on pouvait affirmer avec certitude qu’il s’agissait d’un morceau de bois fini à la machine. J’ai expliqué ce qui avait été exposé au fond du trou. Gibby a sauté tête première pour explorer l’ouverture. Il a plongé sa main dans la brèche et en a tiré un os qui semblait être celui d’un pied humain.

– Enfin, nous avons trouvé la tombe et le corps de Tom Thomson! s’est écrié Frank.

– On a vraiment réussi, s’est exclamé Jack.

Gibby a renchéri : « Ça y est, les gars! »

J’étais bouche bée.

Nous avons déterré l’épinette et ouvert la tombe jusqu’à ce qu’on aperçoive les restes d’une fausse-tombe en pin, qui s’était affaissée sur un cercueil en chêne qui lui aussi avait cédé sous la pression du sol situé au-dessus. Résultat, l’intérieur du cercueil était rempli de terre. Les poignées couleur plomb du cercueil étaient encore en bon état, tout comme la plaque commémorative en métal sur laquelle était inscrit « Repose en paix ». Aucun nom n’était inscrit. Dans le sol au bout du cercueil, il y avait une empreinte partielle laissée par le talon d’un bas de laine. Il ne semblait pas y avoir de morceaux de métal qui auraient pu indiquer que le corps avait été enterré normalement – boutons, boucle de ceinture, bretelles, clous de chaussures ou morceaux de vêtements. Nous avons vu des morceaux de la doublure de cercueil et ce qui semblait être un linceul possiblement fait de coton ou d’un autre tissu léger. […]

– Mon Dieu! s’est exclamé Gibby, j’ai toujours su que la tombe nous révélerait quelque chose le jour où on la trouverait. […]

La situation exigeait de nous quatre – qui étions absolument convaincus qu’il s’agissait de la tombe de Tom – de ne pas nous contenter d’être nous-mêmes convaincus de la justesse de notre découverte et de nos conclusions. Il fallait absolument que nous obtenions une confirmation scientifique :

  1. Était-ce bien la première tombe de Tom Thomson?
  2. Le corps que nous avions trouvé dans la tombe était-il bien celui de Tom?
  3. Qu’y avait-il dans la tombe de Leith officiellement désignée comme celle de Thomson?

Il semblait à présent possible de répondre à ces questions essentielles; nous avons décidé de vérifier sans tarder les deux premières.

Jack et moi savions que le Dr Harry Ebbs était à la petite Wapomeo avec sa femme Adèle, où ils passaient le week-end dans leur cabane en bois rond. Ces amis de longue date étaient férus de la légende Thomson; il semblait naturel que nous communiquions avec le « Docteur Harry » et lui demandions ce qu’il pensait de notre découverte.

Après avoir recouvert d’une toile goudronnée la fausse-tombe et le cercueil pourris et affaissés ainsi que les restes de squelette qu’ils contenaient, nous sommes retournés au camp Ahmek, emportant avec nous un os de la jambe gauche (tibia) pour que le médecin l’examine. Nous avons trouvé le Dr Ebbs et nous sommes rassemblés derrière la vieille cabane construite au début des années 1920 par feu Earnest Thompson Seton, le regretté naturaliste canadien. J’ai donné au docteur l’os de jambe que nous venions de déterrer. « Qu’est-ce que c’est selon toi, Harry? »

Il m’a pris l’os des mains et l’a fixé d’un air incrédule. Puis il a fini par relever les yeux vers moi. « Tu sais très bien ce que c’est. C’est un tibia humain. Où as-tu trouvé ça? »

Avant que l’un de nous ait pu répondre, son regard s’est posé sur nos vêtements sales et nos chaussures couvertes de boue, nos pelles et nos haches qui étaient appuyées contre la cabane. « Êtes-vous allés creuser pour trouver la tombe de Tom Thomson? » a-t-il demandé en esquissant un sourire.

– Pouvez-vous tirer une conclusion à partir de cet os? a demandé Jack Eastaugh.

Le Dr Ebbs a pris l’os, l’a comparé à sa propre jambe gauche, l’a étudié attentivement pendant une minute, puis a déclaré : « Il s’agit, selon toute probabilité, du tibia gauche d’un homme, d’à peu près ma taille ». Harry Ebbs est un grand homme, d’apparence athlétique, de plus de six pieds. Nous le regardions et l’écoutions tous les quatre pendant qu’il expliquait le procédé d’identification dont il faisait la démonstration. […]

Nous avons décidé d’avertir les autorités compétentes et convenu qu’il n’était pas approprié d’aviser la presse pour le moment. Divulguer une telle information sans en avoir vérifié l’authenticité serait à la fois prématuré et tout simplement sensationnaliste. Nous avons replacé avec soin la toile goudronnée et l’avons recouverte de terre avant de remplir complètement la tombe dans l’attente d’une étude plus approfondie de son contenu. […]

Source: William T. Little, "« Une excursion de dessin au dénouement bizarre »" in The Tom Thomson Mystery, (Toronto: McGraw-Hill Ryerson Ltd., 1970), 110-127

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