Audrey Saunders, "La Gilmour Co.," L’histoire du parc Algonquin. 1963.

[ The Gilmour Company depot at Tea Lake ]

La réserve de la Gilmour Company au lac Tea , Inconnu, Algonquin Park Archives, APMA 1093, Cette réserve était le dernier arrêt d'approvisionnement pour les camps de bûcherons de la Gilmour Company dans le parc Algonquin

[…] En 1892, les rapports de la Division du bois d’œuvre du ministère des Terres et Forêts de l’Ontario indiquaient que l’une des plus grandes ventes de l’histoire de la province avait été réalisée à Toronto. C’était le treize octobre, un jour de malchance pour la Gilmour Company qui a effectué l’achat. Ce jour-là, cette société a obtenu les droits de coupe sur un territoire totalisant les deux tiers du canton de Peck, qui s’étendait du lac Tea vers le nord pour inclure les lacs Canoe et Joe. C’était une propriété de grande valeur. Pour citer l’un des estimateurs de bois de sciage de l’époque qui a parcouru toute cette portion de territoire : « il y avait tellement de pins que le pays en était bleu ».

Aujourd’hui, il est difficile de convaincre les visiteurs du lac Canoe que le village en plein essor de Mowat, nommé en l’honneur du premier ministre de l’Ontario de l’époque, s’est déjà trouvé sur la rive ouest du lac; qu’il y avait trente milles de voies d’évitement autour de la gare située à l’extrémité nord du territoire; et surtout que l’on faisait flotter les billots à partir du lac qui se trouve devant eux, sur une distance de 200 milles jusqu’à l’embouchure de la rivière Trent, sur le rivage du lac Ontario. À vrai dire, les ruines des fondations de la vieille scierie sont toujours visibles un peu plus bas sur le rivage; et le sol spongieux témoigne des déchets de la scierie pourrissant dans le sol sous le gazon. L’on retrouve encore les ruines du vieux quai de débarquement où les maisons de pensions se dressaient. Mais plusieurs beaux bouleaux ont poussé autour des décombres du vieil hôpital de la scierie; et il ne reste que peu de choses des écuries autrefois assez grandes pour abriter cinquante attelages de chevaux par nuit.

Le village disparu comptait un grand entrepôt et une cuisine de chantier, ainsi que de nombreuses cabanes pour accommoder les femmes et les familles des employés de la Gilmour. Les cabanes n’y sont plus, mais les deux grands bâtiments ont été préservés et réparés, pour devenir le célèbre Mowat Lodge [...]

Il faut absolument connaître l’histoire du fonctionnement de la Gilmour. Les visiteurs sceptiques reconnaîtront peut-être les preuves démontrant que le village a jadis existé, mais refuseront de croire l’histoire invraisemblable des billots de la Gilmour. Pour des bûcherons d’expérience, il est plutôt impossible de concevoir que le transport des billots s’effectuait sur deux cents milles. Il était farfelu de prévoir faire flotter des millions de pieds cubes de bois pour leur faire remonter la ligne de partage des eaux située entre le lac des Baies et les sources de la Trent.

En effet, faire « flotter » n’est pas tout à fait le bon terme. Même si ce procédé historique s’effectuait à l’extérieur des limites du parc, il vaut la peine de le décrire ici parce que tout le système a été développé pour permettre de sortir les billots du parc. Le directeur, dans son rapport de l’année 1895, mentionne le fait que la Gilmour Company avait déjà coupé son quota de bois depuis les trois dernières saisons, mais poursuit en disant que la société avait décidé de reporter l’exploitation jusqu’à ce que la construction du chemin de fer traversant le parc soit terminée.

Pas étonnant!

Archie McEachern, de Dorset, dont le père était employé de cette société lors des rénovations qui ont été faites dans le secteur, a fait le récit le plus saisissant de la façon dont ces exploits ont été réalisés. La Gilmour Company prévoyait faire flotter ses billots en aval de la rivière Oxtongue à partir du lac Canoe jusqu’au lac des Baies. À cet endroit, ils allaient être réunis en chapelets puis tirés à l’aide d’un alligator à vapeur, que l’on peut toujours voir à Baysville; c’est à cet endroit que commençait une chaîne sans fin, conçue pour faire ce travail.

D’autres sociétés avaient construit des écluses et des passes à bois coûteuses, mais le système de la Gilmour était le plus complexe et le plus coûteux de tout ce qui avait été imaginé jusque là. La pompe qui se trouvait en aval près du rivage pompait l’eau dans la passe à bois, que les billots remontaient en glissant. Elle fournissait aussi la force motrice à la chaîne, à laquelle étaient attachées une série de gaffes, qui se plantaient dans les billots pour les maintenir en place. La première pompe était alimentée par des survolteurs le long de la passe à bois, qui était jusqu’à trente pieds au-dessus du sol en certains endroits. Au sommet de cette première pente, les billots descendaient le courant sur environ un mille, où ils arrivaient au pied du second système de chaîne. Là, une deuxième série de pompes les amenaient à la montée finale jusqu’au lac Raven. Ce lac, qui se jetait normalement dans le système hydrographique Muskoka, avait été refoulé par des écluses, de sorte qu’il s’écoulait plutôt à travers le secteur marécageux jusque dans le lac Sainte-Nora, à la source du lac Trent. Les billots devaient être dirigés le long de la route l’hiver venu, quand les arbres ont perdu leurs feuilles, certains vieux cabestans étaient utilisés pour maintenir les cordes des estacades.

Source: Audrey Saunders, Gilmour Co. in Algonquin Story, (: Ontario Department of Lands and Forests, 1963), 71-75. Notes:

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