Lettre au rédacteur en chef

THE BRITISH COLONIST
5 juin 1869

AU RÉDACTEUR EN CHEF DU BRITISH COLONIST :

Quand la vie de l’un de nos semblables est en jeu, combien prudents devraient être les hommes lorsqu’ils considèrent les éléments relatifs à la perpétration d’un crime tel que celui pour lequel ce pauvre homme a été condamné hier à une mort ignominieuse. Pour ce qui est de la sélection d’un jury il me semble que plutôt que d’avoir des hommes qui ignorent presque tout des Indiens et de leur tempérament, alors que le témoignage d’Indiens est l’élément le plus important du procès, et plutôt que de se retrouver avec des hommes incapables d’évaluer des preuves qui ont des répercussions concrètes sur le procès, il serait bon de choisir comme jurés des hommes tout à fait familiers avec les Indiens et qui pourraient rendre pleinement justice aux éléments importants de la preuve.

Je soutiens qu’il est à déplorer que ces messieurs membres du jury, qui ont si précipitamment expédié le cas du prisonnier accusé du meurtre du colon de Salt Spring Island, n’aient pas été versés en cette matière, et qu’en conséquence ils n’aient pas du tout été en mesure de juger des faits pertinents apportés en preuve. Et, j’irai plus loin, il est de même déplorable que ni l’avocat, ni le juge n’aient été en meilleure position. Mis à part la preuve directe donnée par l’Indien qui a déclaré avoir vu l’acte, il n’y avait, à mon avis, rien de ce qui a été divulgué qui pourrait le moins du monde tendre à incriminer le prisonnier. D’autre part, une grande partie de ce que le juge a présenté, dans son allocution au jury, comme étant des preuves indirectes corroborant l’accusation, semblerait à des hommes mieux placés que lui pour juger d’affaires semblables, fortement favorable à la cause du prisonnier.

Par exemple, il a été prouvé que l’homme assassiné était gaucher; le couteau dont il se servait pour manger quand on a tiré sur lui était dans sa main gauche, et on a montré en cour une hache, et une certaine cambrure du manche indiquait au jury qu’un gaucher s’en était servi. Or, les bûcherons et les hommes habitués à voir utiliser une hache savent bien qu’un gaucher abat presque invariablement sa hache à partir du côté droit; et une hache qui aurait été manipulée du côté droit aurait présenté une cambrure inverse de celle qui fut produite en cour. Voilà un seul des éléments de preuve présentés de façon malhonnête afin de les faire jouer contre la défense, mais il montre bien ce que je désire exprimer. Le témoignage merveilleusement explicite et sans détour de l’Indien qui accuse le prisonnier du meurtre perd beaucoup de poids si on prend en considération le laps de temps qui s’est écoulé depuis que le meurtre a été commis, et par conséquent, la possibilité que l’homme a eue de [illisible] et de peaufiner dans ses moindres détails une déposition comme celle qu’il a faite en cour hier.

J’ai peur que nous soyons, en tant que communauté, trop peu soucieux de la vie des Indiens, et pourtant, il me semble que nous devrions être plus attentifs quand la vie d’un Indien, plutôt que celle d’un homme blanc est en jeu dans un procès, parce que ce dernier comprend la langue et toutes les accusations portées contre lui, et qu’il a la possibilité de se justifier de faits qui autrement joueraient en sa défaveur, alors qu’un Indien ne comprend à peu près pas ce qui est dit, et conséquemment est incapable d’orienter son avocat sur des points qui pourraient aider sa cause. Je suis aussi sensible que quiconque à la nécessité de faire que les colons de la côte est vivent dans la plus grande sécurité possible. J’y ai moi-même été colon pendant bon nombre d’années, et je me mêlais davantage aux Indiens et possédais peut-être une plus grande connaissance à la fois des Indiens et des hommes blancs des régions agricoles que n’importe quel autre colon de l’île, et j’aurais été le dernier, quand un crime de plus ou moins grande importance était indubitablement le fait d’un Indien, à vouloir l’épargner. Il est aussi essentiel, cependant, dans le meilleur intérêt des colons, qu’un châtiment soit retenu quand il n’est pas évident qu’il soit mérité, tout comme il l’est qu’il soit infligé sans pitié quand il ne fait pas de doute qu’il est juste.

Je pourrais continuer ainsi longtemps, mais comme mon but en m’adressant à vous est de mettre tout en œuvre pour que soit atténuée la peine de l’Indien en ce moment condamné à mort, j’ajouterai seulement quelques mots à ce sujet. Je suis conscient que l’affaire est délicate puisqu’elle semble avoir une incidence sur la réputation du juge et des jurés. Je déclare ici que je n’ai pas le moindre doute que toutes les personnes impliquées ont agi selon leur conscience; mais, comme je crois que le résultat obtenu n’était pas soutenu par la preuve fournie, je ne peux m’empêcher de faire appel à la compassion du public envers la pauvre créature esseulée. Une pétition invoquant une sentence moins sévère que celle qui lui a été imposée pourrait être un service rendu à l’humanité.

W. Smithe

Source: W. Smithe, "Lettre au rédacteur en chef ," The British Colonist, 5 juin 1869

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