Les guerres ouvertes

Pour des millions de personnes, parler de la période de 1945 à 1975 comme étant celle de la guerre froide est faux, voire insultant. Cela s’applique spécialement à l’Asie. Cette période était une continuation sanglante de la Seconde Guerre mondiale avec des combattants qui n’étaient pas tout à fait les mêmes. De 1937 à 1945, les militaires japonais ont combattu les communistes et les nationalistes et de 1945 à 1975, les militaires américains ont combattu les communistes et les nationalistes. Les guerres en Chine, en Corée et en Indochine ont causé des millions de victimes.

Le poste qu’a occupé Herbert Norman au Japon de 1945 à 1950 lui a fourni une excellente perspective sur les intrigues, les préparatifs de la guerre et les combats pendant la guerre froide. Mais il était plus qu’un observateur, il était aussi un participant. Dès la reddition du Japon, il s’est joint à l’équipe du général américain Douglas MacArthur. Ce dernier était le chef des forces d’occupation au Japon; son titre était Commandant suprême des puissances alliées (SCAP — Supreme Commander of the Allied Powers). Comme l’a fait remarquer d’un ton incisif l’historien John Dower, pendant l’occupation d’après-guerre, MacArthur a cessé de faire la distinction entre son poste de Commandant suprême et celui d’Être suprême. Curieusement, Herbert Norman était capable de jouer son rôle presque d’égal à égal avec ce César américain, en partie parce que MacArthur reconnaissait la profonde expertise japonaise de ce dernier. Le rôle important que Herbert Norman a joué dans la transition du Japon vers la démocratie a aussi été reconnu en juin 1946 lorsque le gouvernement canadien l’a nommé Chef de la mission de liaison canadienne au Japon, l’équivalent d’ambassadeur canadien.

Dans la seconde moitié des années 1940, une période très palpitante, Tokyo était la résidence des principaux anticommunistes asiatiques et américains. Le président de la Corée du Sud, Syngman Rhee, y cherchait des alliés pour supprimer ses opposants électoraux et bâtir sa force militaire. Le leader chinois Jiang Jieshi [Tchiang Kai-shek] tentait de trouver des appuis pour une campagne vouée à l’échec contre les communistes de Mao Zedong [Mao-Tsé-Toung]. Un autre acteur sur cette scène était l’architecte de la politique américaine de l’endiguement en Europe, le diplomate américain George F. Kennan. En 1948, il a commencé à regarder du côté de l’Asie. Il a contribué à mettre en place la politique du Reverse Course (rebrousser chemin) qui a défini le nouveau rôle du Japon en tant que partenaire junior des États-Unis durant la guerre froide.

Dans cette intrigue, il ne faut pas oublier le personnel de MacArthur qui lui vouait une grande admiration. En premier lieu, il y avait le général Charles Willoughby. Comme directeur du G-2, le service de renseignements des forces d’occupation américaines, Willoughby jumelait une loyauté indéfectible à MacArthur avec un anticommunisme féroce. [Les services de renseignements américains sont connus comme le G-2; le personnel est le G-1, la planification et les opérations comme le G-3, et ainsi de suite.] En tant que directeur des services de renseignements, Willoughby gardait tout le monde à l’œil. Selon lui, quiconque doutait de la grande intelligence de MacArthur était probablement également coupable de subversion politique. On peut donc dire que la guerre froide n’a pas toujours été une bataille mondiale entre le capitalisme et le communisme. C’était parfois une question de jalousie et d’ambition personnelle.

Pendant un certain temps, Herbert Norman a été plus que capable de se frayer un chemin dans ce paysage nébuleux. En fait, il rayonnait, donnant de sages conseils à MacArthur et faisant parvenir des observations pertinentes sur cette scène politique étourdissante à Ottawa. Tout cela a dû lui permettre de valider sa décision de faire carrière en diplomatie. Mais c’était aussi dans cette atmosphère hautement politisée qu’il a initialement été identifié comme une menace potentielle à la sécurité.

Il n’était d’ailleurs pas le seul à susciter la méfiance. Le succès de la révolution communiste chinoise le 1er/ octobre 1949 a fait grandement augmenter le niveau de peur et de suspicion aux États-Unis. Depuis les années 1930, les Américains avaient fourni des armes au rival de Mao Zedong, Jiang Jieshi. Ils comptaient sur le « généralissime » pour contrer une victoire communiste. Mais plusieurs diplomates et officiers militaires américains et canadiens en poste en Asie ont pu constater la corruption du régime de Jiang et l’ont comparé défavorablement à l’armée populaire de Mao. Ils ont prédit que les forces de Mao gagneraient le cœur des Chinois. Pourtant, lorsque la révolution a eu lieu, Washington a connu un immense remous. Comment un tel revers a-t-il pu se produire? Aux tenants de la guerre froide, seule une trahison interne pouvait expliquer cette situation. La chasse était ouverte pour trouver les Américains, spécialement ceux œuvrant à l’intérieur du gouvernement qui étaient responsables de la « perte de la Chine ».

Herbert Norman avait le profil des agents doubles blâmés par le gouvernement américain pour la victoire communiste en Chine. Comme eux, il était un diplomate. Ils étaient au département d’État, il travaillait pour l’équivalent canadien, le ministère des Affaires extérieures. Il était un expert sur l’Asie. Il avait passé sa jeunesse au Japon, y avait acquis une grande connaissance de la région et il l’admirait beaucoup. Son cas était aggravé par le fait qu’il était ami avec certains de ces « travailleurs chinois » et qu’il les avait fréquentés dans des organismes tels que l’Institut des relations du Pacifique. Comme l’a dit le sénateur américain Joseph McCarthy : « Si ça ressemble à un canard, si ça se dandine comme un canard, si ça cancane comme un canard, alors c’est un canard. » Herbert Norman semblait être un tel oiseau. En 1950, la chasse aux canards s’est ouverte.

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