NORMAN, LE DIPLOMATE —
LE POINT DE VUE D’UN JOURNALISTE

[ Norman in Ottawa ]

Norman à Ottawa , Inconnu, 1951, University of British Columbia Library, Rare Books and Special Collections, BC2124-115, Norman devant des inscriptions japonaises dans son bureau à Ottawa en 1951

En tant que rédacteur en chef régional du U.S. News & World Report, Joseph Fromm connaissait M. Norman comme source d’information à Tokyo et au Caire. Le 19 avril 1957, de Londres où il est maintenant en poste, M. Fromm a télégraphié les souvenirs suivants de sa relation avec M. Norman.

Ce dont on se souvient le plus de M. Norman c’est l’extraordinaire ampleur de ses intérêts intellectuels. Il était considéré comme un expert de la langue et de l'histoire japonaise. Il parlait, écrivait et lisait le japonais aussi couramment que l’anglais. Il avait écrit il y a plusieurs années un livre en japonais sur un vague sujet de l’histoire japonaise. Lorsque je rencontrais M. Norman à son bureau au Japon alors qu’il était chef de la Mission diplomatique canadienne, son bureau était généralement encombré d’une pile de livres japonais anciens.

L’étendue de ses connaissances à l’extérieur de son champ d’études sur le Japon surprenait constamment les amis de M. Norman. Un soir, lors d’un dîner, il était assis à côté d’un ministre italien et a poursuivi avec lui une discussion animée sur la littérature, la musique et l’art italiens ainsi que sur l’histoire des partis politiques italiens.

Au Caire, les diplomates commentaient l’étendue des lectures qu’il a faites sur l’histoire et la politique arabe avant d’entrer en poste comme ambassadeur d’Égypte et ministre du Liban. Après sa première rencontre avec M. Norman, un diplomate britannique comptant des années d’expérience au Moyen-Orient a dit : « Il est ici depuis moins d’un mois et on dirait qu’il a fait plus de lectures sur la région que je n’en ai fait en dix ans. »

Bien qu’il parlait doucement et ne se fâchait pas facilement, je me souviens de discussions musclées à l’occasion. Pendant la guerre de Corée, par exemple, il appuyait l’intervention des États-Unis et des Nations Unies contre les communistes, mais il a argumenté avec vigueur contre la poussée des N.U. vers le fleuve Yalu en disant que cela provoquerait une intervention des communistes chinois.

Au Caire, lorsque je l’ai vu pour la dernière fois en septembre, il a admis que le président Nasser avait menacé les intérêts occidentaux, mais il a argumenté violemment contre l’utilisation de la force par la Grande-Bretagne et la France lorsque ces deux pays menaçaient d’intervenir. Il soutenait que cela unirait le monde arabe derrière Nasser et contre l’Ouest et jetterait le discrédit sur la Grande-Bretagne en Asie. Il prétendait que, bien que le nationalisme arabe n’était peut-être pas une force positive ou progressiste, ce nationalisme faisait partie de la vie politique au Moyen-Orient et qu’il fallait le reconnaître.

M. Norman argumentait que des générations de domination étrangère par les Turcs ottomans, les Britanniques et les Français avaient faussé le comportement et la vision des Arabes et qu’il fallait maintenant en tenir compte dans les relations avec eux. Les Russes, a-t-il dit, faisaient preuve d’initiative au Moyen-Orient en exploitant cette situation.

M. Norman ne se gênait pas pour entretenir toutes sortes de relations professionnelles. Au cours de son travail au Japon, en plus de l'habituelle liste d'ambassadeurs et de fonctionnaires qui prenaient régulièrement contact avec les diplomates, il entretenait des relations avec des militaires et des ultranationalistes de l'extrême droite ainsi qu’avec des intellectuels de la gauche. À l’occasion, il entrait dans un obscur bar japonais pour boire une bière ou du saké et discuter de la plus récente performance de kabuki, le style de théâtre japonais. Il semblait tout aussi à l’aise dans un environnement japonais de ce type que dans un décor occidental.

Lorsqu’on le rencontrait pour la première fois, M. Norman donnait l’impression d’être timide, mais lorsqu’il était parmi les gens qu’il connaissait, il était sociable et avait un très bon sens de l’humour. Par exemple, il a donné un soir toute une performance en régalant un groupe de diplomates avec un long exposé, très coloré, sur les scandales de la royauté japonaise survenus des centaines d'années auparavant.

Par contre, il discutait rarement de ses affaires personnelles ou familiales, même avec ses amis les plus proches. Il avait acquis la loyauté presque fanatique de ses subordonnés, prenait un vif intérêt dans leurs problèmes personnels, mais il partageait rarement les siens.

Lorsque je l’ai rencontré au Caire après sa nomination comme ambassadeur, il était heureux et enthousiaste à l’idée de ce nouveau travail.

Certains de ses proches ont eu le sentiment que sa façon de pensée et sa philosophie avaient été influencées subtilement par les années passées au Japon comme fils de missionnaire, comme étudiant, puis comme fonctionnaire, et par le fait qu’il avait été imprégné de la culture et des coutumes orientales. Il y avait quelque chose d’étrangement oriental dans la façon dont il s’est suicidé.

Si j’en juge d’après les journaux, le geste a été posé de façon aussi réfléchie et délibérée que le hara-kiri d’un général japonais.

Source: Joseph Fromm, "Norman, le diplomate — le point de vue d’un journaliste," U.S. News & World Report, 26 avril 1957

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