Extrait de "Gold At Fortymile Creek"

Carmack vivait une vie qui était, sous plusieurs aspects, différente de celle d’un mineur typique. Il avait marié la sœur de Skookum Jim et, quand elle mourut, sa sœur Shaaw Tlaa (Kate) l’a remplacée, comme le voulait la tradition tagish. Ce mariage avait aussi étroitement lié Jim et Carmack. George savait parler quelques dialectes autochtones (ainsi que le chinook) et il menait à peu de différences près la vie du Tagish moyen. Il aimait l’indépendance que lui procurait ce mode de vie et il prenait la chose comme un compliment lorsqu’on lui disait : « Eh bien, George, chaque jour tu ressembles un peu plus à un sauvage! ». Il était généralement connu sous le nom de « George le Sauvage » et « Stick George » et, même si plusieurs mineurs dans la vallée du Yukon avaient des épouses autochtones, Carmack fréquentait les Premières Nations plus que les mineurs ne le toléraient. On lui donna aussi un autre nom, « George le menteur », parce qu’il embellissait toujours ses histoires de façon à se mettre en valeur. Son mode de vie était éclectique : il avait, tour à tour, été berger, fusilier marin (il avait déserté la marine), trappeur, négociant, ouvrier, transporteur et prospecteur. Bien qu’il ait cherché de l’or, et en ait découvert au moins une fois, on ne le considérait pas comme un vrai prospecteur; c’est pourquoi il n’avait pas de crédibilité parmi les mineurs.

Le rêve de Carmack

Vers la fin de mai 1896, alors qu’il est encore à Fort Selkirk, Carmack tire à pile ou face et décide de partir vers l’aval de la rivière. Quand il arrive à Forty Mile, il n’a toujours pas décidé de ce qu’il fera ensuite. Cette nuit-là, il fait un rêve très frappant. Il rêve de deux magnifiques poissons qui sont couverts de pépites d’or au lieu d’écailles et ont des pièces d’or de vingt dollars en guise d’yeux. Il l’interprète comme un appel à aller pêcher. Le 18 juillet, il charge son bateau et remonte la rivière avec un prospecteur nommé Cooper, qui prospectait des affleurements de quartz en face de l’embouchure de la rivière Klondike.

Une fois que Kate et lui sont arrivés à l’embouchure de la rivière Klondike, Skookum Jim et ses deux neveux, Charlie et Patsy, viennent les rejoindre. Ils n’avaient eu aucune nouvelle de Carmack pendant plus de deux ans et étaient inquiets à son sujet. Ils établissent leur campement sur la rive du fleuve Yukon, le futur emplacement de Dawson, et installent leurs filets à l’embouchure de la rivière Klondike. Ils construisent des structures spécialement conçues pour fumer le poisson selon la tradition tagish. C’est là que Robert Henderson les rencontre au début du mois d’août 1896, alors qu’il retourne à ses prospects miniers dans la vallée de la Klondike.

Le prospecteur

Robert Douglas Henderson correspond à l’archétype du prospecteur : il est grand, mince, a les yeux bleus et est âgé de trente-sept ans. Fils d’un gardien de phare néo-écossais, il attrape la fièvre de l’or très jeune. Il abandonne une carrière assurée dans la fabrication de carrioles pour parcourir le monde d’une ruée vers l’or à l’autre, qu’elle soit en Australie, en Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis. Il rate sa première chance de faire fortune lorsqu’il se défait d’une propriété de 160 acres d’une grande valeur près de Grand Junction au Colorado. Passionné par la recherche de l’or, il lui semble que la recherche de cette matière est de loin plus importante que la découverte même. Après s’être remis d’une grave maladie, il retourne en Nouvelle-Écosse, se marie et mène une existence prospère, vivant d’agriculture et de pêche. Mais il abandonne tout et part pour le Yukon.

Henderson est attiré au Yukon par les glorieux récits de découverte d’or dans la région de Fortymile. Il arrive à Ogilvie, le poste de traite de Joe Ladue, situé à l’embouchure de la rivière Sixtymile, sans un dollar en poche. Ladue est un optimiste. Confiant qu’une importante découverte finira bien par avoir lieu, et certain que ce sera dans les environs, il encourage tous ceux qui s’arrêtent à son poste à prospecter les affluents du fleuve Yukon se trouvant à proximité. Enthousiasmé par les prospects découverts sur la rivière Indian (où un anglais de Devonshire du nom de Billy Readford a trouvé des prospects prometteurs), Ladue commandite Henderson et l’envoie tenter sa chance dans les eaux de la rivière Indian. Henderson quitte ses partenaires et se rue vers la rivière Indian avec un nouvel associé, Jack Collins. Plus tard, Collins laisse Henderson, qui reste à la rivière Indian à la recherche de son filon.

Henderson passe l’hiver de 1894-5 seul sur la rivière Indian, dégelant le sol pour atteindre le fond rocheux. C’est un travail extrêmement long et ardu pour un homme seul. Ses efforts ne sont récompensés que par quelques couleurs. En mars 1895, Henderson remonte la rivière Indian pour prospecter un affluent appelé ruisseau Australia. Il lui faut soixante jours entiers pour transporter ses provisions depuis son ancien campement. Sur le ruisseau Australia, il ne trouve rien d’encourageant, bien qu’il puisse vivre de la terre; il tue quelques orignaux et caribous et avec les peaux, il se fabrique un bateau qui lui permettra de descendre la rivière Indian.

Pendant que Henderson est sur le ruisseau Australia, la malchance le frappe de nouveau. Il décrit ainsi l’incident :

« Afin de faire une passerelle sur le ruisseau, j’ai abattu un gros arbre et alors que j’y grimpais, j’ai attrapé une branche avec ma main gauche pour me remettre d’aplomb. Malheureusement, elle s’est brisée sur la droite et le bout déchiqueté s’est planté dans mon mollet, me causant une vilaine blessure en déchirant le muscle de mon mollet. C’était évidemment très douloureux et j’ai dû ramper pour revenir à mon campement, où je suis resté couché pendant 22 jours, seulement capable de me traîner à l’aide de mes mains et d’un genou jusqu’à un trou situé tout près pour laver ma plaie dans l’eau glacée. Je souffrais d’enflure et d’inflammation, mais l’eau froide me soulageait grandement. Je n’avais aucun médicament, alors j’ai utilisé de minces tranches de bacon comme baume, et quand elles avaient servi, je les jetais sous le rabat de ma tente, où les loups qui rôdaient par centaines dans les alentours venaient les dévorer. »

Robert Henderson

Henderson perd quarante livres pendant qu'il se rétablit de sa blessure. Il est aussi victime de cécité des neiges et, à un autre moment, il chavire avec son bateau et frôle la noyade.

Quand il est assez remis pour voyager, il descend le ruisseau Quartz dans son bateau de peaux. Il navigue sur ce ruisseau pendant un jour et demi, puis passe plus de deux semaines à construire un barrage pour faire monter l’eau afin d’installer un sluice. Au bout d’un jour et demi de lavage au sluice, il compte une valeur de seize dollars d’or seulement. Découragé par cette maigre cueillette et l’inconfort continu que lui cause sa blessure, qui n’est pas tout à fait guérie, il retourne à Ogilvie d’où il revient avec des provisions et un nouveau partenaire, Billy Readford. Ils retournent au ruisseau Quartz où ils fabriquent un canal à sluices en prévision de la saison prochaine.

Encore une fois, Henderson retourne à Ogilvie pour acheter des provisions, puis revient seul à la rivière Indian pour l’hiver. Il passe son temps à allumer des feux pour creuser le sol jusqu’au fond rocheux et à se préparer pour le lavage du printemps. Cette fois, il récolte 620 $, ce qui est peu payé pour le dur travail de l’hiver. Au printemps et à l’été de 1896, il prospecte jusqu’au sommet situé en amont du ruisseau Quartz et en aval jusqu’à un affluent qu’il nomme ruisseau Gold Bottom, qui se déverse dans la rivière Klondike. De ce ruisseau, il commence à tirer de bons prospects : huit cents la batée. Il invite trois hommes (Ed Munson, Frank Swanson et Albert Dalton), qui travaillaient sur les barres à l’embouchure du ruisseau Quartz, à se joindre à lui; à eux quatre, ils extraient une valeur de 750 $ d’or. À court de provisions, Henderson redescend la rivière Indian jusqu’à Ogilvie pour se réapprovisionner. Comme la rivière Indian est basse, il décide de passer par l’embouchure de la rivière Klondike puis, de là, de retourner au ruisseau Gold Bottom. Il touche un mot de ses découvertes à Joe Ladue, qui, avec empressement et enthousiasme, répand la nouvelle.

Henderson accoste à l’embouchure de la rivière Klondike. Alors qu’il jette un coup d’œil au petit campement, aux filets et à l’installation servant à sécher le poisson, il aperçoit George Carmack. « Ça, c’est un pauvre diable qui n’a pas trouvé de filon », se dit-il en allant saluer Carmack.

La rencontre

Henderson aborde Carmack en lui racontant son voyage du poste de Joe Ladue jusqu’à l’embouchure de la rivière Klondike. Il explique qu’il exploite un affluent de la rivière Klondike et que ses efforts sont bien récompensés. Lui et ses amis creusent une tranchée à ciel ouvert jusqu’au fond rocheux sur le ruisseau Gold Bottom, et il invite Carmack à les rejoindre pour y tenter sa chance. Henderson dit aussi à Carmack que sa famille tagish n’est pas la bienvenue. Il n’aime pas les « Indiens », en particulier ceux du cours supérieur du fleuve Yukon. Ce n’était pas la chose la plus sympathique à dire au sujet de la famille de Carmack, et Henderson allait le payer cher. Après avoir appris sa découverte à Carmack, Henderson s’empresse de rejoindre ses partenaires sur le ruisseau Gold Bottom.

Le lendemain, Carmack, Jim et Charlie préparent de petits paquets de provisions (surtout du poisson), des pelles et des batées pour aller voir la découverte de Henderson. Plutôt que de suivre la rivière Klondike sur plusieurs milles jusqu’à l’endroit où se jette le ruisseau de Henderson par le sud, ils prennent le premier affluent, un petit cours d’eau connu sous le nom de ruisseau Rabbit, qu’ils remontent tout en prospectant et en traversant les sous-bois denses et les épaisses nuées de moustiques. À un endroit près de ce qui allait plus tard devenir la concession de la découverte, Jim et Charlie plongent leur batée dans le lit du ruisseau et en tirent une valeur de dix cents d’or. Après discussion, ils décident que s’ils ne trouvent rien de mieux sur le ruisseau Gold Bottom, ils reviendront fouiller ce gravier plus attentivement.

George conseille à Jim et Charlie de ne rien dire à propos de leur découverte; ils passeront le mot au groupe de Henderson si le prospect s’avère payant. Ils continuent jusqu’au bout du ruisseau, jusqu’à ce qu’ils atteignent une fourche; là, ils choisissent la branche qui va vers le sud. Après avoir suivi cet embranchement sur une certaine distance et avoir trouvé le trajet difficile, ils escaladent la crête qui le surplombe et se rendent vers l’est jusqu’à une autre crête qui la rejoint par le nord. Ils ne le savent pas à ce moment-là, mais le ruisseau qu’ils viennent de quitter serait plus tard connu sous le nom d’Eldorado. Au point de rencontre des deux crêtes, ils regardent le canyon en contrebas et, au loin, voient une mince colonne de fumée qui s’élève d’un petit campement. Ils descendent la vallée jusqu’au campement de Henderson. Là, ils évaluent le prospect et, bien qu’il ne soit pas aussi prometteur que celui qu’ils viennent de découvrir sur le ruisseau Rabbit, ils jalonnent des concessions sur le ruisseau Gold Bottom près de l’exploitation de Henderson avant de repartir le 11 août 1896.

Avant leur départ, cependant, Henderson a avec Jim et Charlie une conversation qui scellera son destin. Comme ils sont presque à court de provisions et en manque criant de tabac, ils offrent d’en acheter à Henderson, qui refuse. Henderson tient encore rancune aux « Indiens », leur imputant une injustice dont il a été victime l’année précédente. Il était retourné à sa cache où il avait entreposé une grande quantité de provisions pour découvrir que tout avait disparu; résultat, il en était presque mort de faim. Il est convaincu que les voleurs étaient des autochtones, car il était le seul Blanc dans la région à cette époque. Comme Carmack le dira plus tard, « ses préjugés enfantins et insensés l’ont même empêché de jalonner sur le même ruisseau que ces "sauvages" qu’il détestait, alors son obstination lui a coûté une fortune ».

Carmack, Jim et Charlie gravissent de nouveau la crête qui sépare le ruisseau Gold Bottom du ruisseau Rabbit. Ils descendent lentement jusqu’au ruisseau Rabbit, prospectant en chemin. Trois jours plus tard, ils n’ont plus de provisions. Heureusement, Jim a la chance de tuer un orignal. Il avertit les autres et, pendant qu’il attend leur arrivée, il se rend au ruisseau pour boire un peu. Il aperçoit de l’or dans le fond du ruisseau en des quantités jamais vues auparavant. Ils évaluent le gravier et peuvent remplir d’or une cartouche de fusil. Le lendemain, après avoir évalué la valeur du ruisseau en amont et en aval sur une certaine distance, Carmack aplanit les côtés d’une petite épinette au milieu de la vallée et y inscrit au crayon :

« À QUI DE DROIT : En ce jour, je jalonne et revendique, à titre de découvreur, cinq cent pieds en amont du présent avis. Jalonné ce 17e jour d’août 1896. G.W. Carmack. »

Carmack s’approprie la concession de la découverte, en prend une autre en amont de celle-ci (no 1 en amont de la Découverte) pour Jim, la concession en aval de la Découverte pour lui-même et la no 2 en aval de la Découverte pour Charlie.

Carmack et ses partenaires descendent immédiatement la vallée à toute allure, pataugent dans les marécages, puis arrivent à l’embouchure du ruisseau Rabbit, avec l’air de « pelotes d’épingles humaines ». Là, ils rencontrent quatre prospecteurs qui, sur les indications de Joe Ladue, se dirigent vers la rivière Klondike. Carmack les réoriente vers le ruisseau Rabbit. À l’embouchure de la Klondike, il rencontre deux Français, à qui il indique aussi la direction du ruisseau Rabbit. Il renvoie Jim pour qu’il commence à exploiter la concession pendant que lui et Charlie se rendent à Forty Mile. Chemin faisant, il passe le mot à d’autres mineurs encore, mais il ne communique jamais la nouvelle à Robert Henderson qui, inconscient de l’agitation qui règne juste de l’autre côté de la crête, continue de travailler avec ses partenaires sur le ruisseau Gold Bottom.

Les deux découvreurs arrivent à Forty Mile le 20 août 1896 avec la nouvelle de leur découverte; ils font d’abord leur annonce dans un saloon avant de traverser au poste de la PCNO pour enregistrer leurs concessions. La nouvelle de leur découverte trouve écho chez les mineurs et enflamme les passions. Le lendemain matin, le village de Forty Mile se vide. Ironiquement, Carmack est incapable d’enregistrer sa concession à ce moment parce qu’il n’a pas assez d’argent. L’inspecteur Charles Constantine lui dit que s’il a effectivement trouvé de l’or, il peut retourner en chercher et revenir payer les frais. Après s’être dépêchés de venir à Forty Mile, lui et Charlie doivent faire demi-tour et remonter le courant de peine et de misère, puis tirer avec leur batée assez d’or pour couvrir leur financement hivernal et leurs frais d’enregistrement de concession.

La ruée provoque au campement minier un effet électrisant. L’appât du gain s’empare de tous les habitants, qui se lancent sur les tronçons inexplorés du ruisseau nouvellement découvert. Du jour au lendemain, le prix des bateaux atteint des sommets inouïs tandis que l’immobilier s’effondre. L’hiver venu, la valeur des chiens surpasse celle des bateaux. La course au jalonnement de concessions sur le nouveau ruisseau est, véritablement, frénétique.

Source: Michael Gates, "Extrait de « Gold at Fortymile Creek »" (Vancouver: University of British Columbia Press, 1994), 131-9

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