Personne ne connaît son nom: Klatsassin et la guerre de Chilcotin
   
 

L’origine du massacre

Daily Chronicle, le 29 mai 1864.

Les Chilcotins qui ont commis le crime étaient de nouveaux arrivants qui ont été vus pour la première fois à l’extrémité de l’Inlet et qui sont arrivés au début du printemps. Klatsassin, le plus influent d’entre eux et l’instigateur principal, avait toutefois l’intention de retourner au lac Benshee en passant par les rivières Memeya et Bridge. Il a déclaré qu’il attendait seulement l’arrivée de M. Waddington, de qui il prenait quotidiennement des nouvelles et demandait s’il allait apporter beaucoup de provisions et amener plusieurs hommes. Il a dit qu’il voulait que M. Waddington aille chercher pour lui sa fille des mains des Euclataws. Pendant ce temps, son fils aîné de quinze ans, Pierre, s’est rendu au traversier le mercredi 20 avril avec les remblayeurs où il a discuté longuement avec les Chilcotins du camp en amont. Il est revenu le vendredi 23 au matin quand son père, Klatsassin, a immédiatement changé d’avis, comme il a dit aux remblayeurs, le samedi matin. Il était alors prêt à donner un canoë, six couvertures et deux mousquets pour retrouver sa fille. Il s’est dirigé vers le traversier mardi matin, le 26 avril, avec ses jeunes Indiens, ses deux fils et filles ainsi que trois Indiennes. Ils ont dormi au refuge connu sous le nom de Slough Camp, ensuite près de Boulder Creek, et ils sont arrivés au traversier jeudi matin, vers 9 heures. Il a probablement assassiné Smith, le passeur, le même soir.

Il y avait approximativement deux tonnes de provisions au traversier et elles ont disparu, la yole a été détruite, et le chaland a été laissé à la dérive, afin de couper toute liaison. Tout cela est survenu avant 10 heures vendredi matin car Squinteye, un Indien Clayoosh, a croisé les assassins vers 11 heures à environ un mille en amont, de l’autre côté du traversier. Il semble qu’ils aient rejoint les autres Indiens au camp principal à sept milles en amont, où ils ont ri et discuté avec les ouvriers après le souper et ont chanté des chansons indiennes pendant une partie de la nuit. Le massacre a eu lieu juste avant l’heure où les hommes se levaient habituellement le matin et si simultanément qu’il est surprenant que des gens aient pu s’échapper pour raconter les événements. Les gens du lotissement urbain à l’extrémité du Inlet ont, les premiers appris la nouvelle du meurtre survenu au traversier, de l’Indien Squinteye, qui est arrivé effrayé à 3 heures du matin, le vendredi 29 avril.

La déclaration de Squinteye

Il se dirigeait en aval vers le traversier et venait du camp en amont jeudi matin, avec le chef Telloot, pour apporter des provisions quand ils ont rencontré Klatsassin, comme précité, avec ses deux fils, trois autres Indiens et quelques femmes. Squinteye les reconnaîtrait tous. Ils avaient avec eux deux couvertures et un peu de pain cuit. Klatsassin leur a dit qu’ils n’avaient pas besoin d’aller au traversier, qu’il n’y avait personne car il avait tué Smith. Telloot s’est fâché, a fait des remontrances à Klatsassin et a dit qu’il ferait demi-tour et en informerait M. Brewster, le contremaître, mais il a finalement accompagné Klatsassin. Il s’est ensuite emparé du fusil de Squinteye, lui donnant, ou lui promettant, deux couvertures (ce qui est bien peu), et le menaçant de le poignarder s’il refusait. Klatsassin a ensuite dit à Squinteye de partir, aussi vite que possible dans la vallée et de ne rien dire ou il serait assassiné lui aussi. Klatsassin portait la chemise de Smith à rayures rouges. Ils se dirigeaient vers le canyon, à environ un mille en amont du traversier lorsqu’il les a rencontré. Cela est survenu vers 11 heures. Klatsassin a dit qu’il ferait en sorte que les hommes blancs soient assassinés car ils ne lui avaient pas donné de nourriture pour leur travail. Squinteye n’a trouvé aucun bateau au traversier et il a dû traverser la rivière à gué à un mille en aval.

La déclaration de Tenas George

La nouvelle du meurtre systématique aux deux campements a été rapportée en amont par le serviteur de M. Brewster, George, un Indien d’environ quinze ans, qui a traversé la rivière à gué et couru 40 milles en [10?] heures, atteignant l’Inlet le samedi 30 avril, vers 4 heures de l’après-midi. Il lavait la vaisselle après le déjeuner à la tente en amont, que M. Brewster avait installée en retrait du camp principal la veille, avec M. Clarke, le pionnier, Baptiste Demarest et James Gaudet, quand six Indiens sont arrivés, deux d’entre eux n’étaient pas armés de fusils. Il a vu Gaudet se faire tirer dessus à une distance d’environ vingt-cinq verges. On lui a tiré dessus une première fois, puis une seconde, il est ensuite tombé, mort. Il reconnaîtrait l’Indien qui lui a tiré dessus. Il a vu Clarke à travers les buissons. L’Indien qui lui a tiré dessus à une cicatrice à la joue. Un jeune Chilcotin, qui était un esclave, (Chraychamum, surnommé Bob, un des six) lui a ensuite dit de klatawaw (s’en aller) aussi vite que possible, et lui a donné un couteau pour se défendre. En allant au camp principal qui est deux milles en aval, il a rencontré les autres Indiens qui montaient la pente chargés des articles pillés. Il a vu quatre corps au campement.

Les présumés meurtriers

Les Indiens qui étaient au campement la veille du meurtre sont :

Klatsassin, l’instigateur principal des événements, un homme grand et corpulent; aucune moustache pour ainsi dire; des cheveux bruns foncés, ou presque noirs; grand nez; a assassiné Smith.

Telloot, le chef des Chilcotins des basses terres, environ 45 ans; de taille moyenne; a blessé gravement Petersen avec sa hache.

George, le gendre de Telloot.

Lowwa, un jeune homme corpulent de 23 ou 24 ans.

Cushen, un beau jeune homme corpulent, d’environ 25 ans; de taille moyenne.

L’esclave indien Chraychamum, ou Bob, n’avait pas de fusil. Il avait acheté le fusil de Clarke, mais ne l’a pas payé. Il doit l’avoir prêté ou revendu. Plutôt mince; environ 20 ans.

L’Indien à la cicatrice à chaque joue, qui a tiré sur Clarke.

L’Indien de 45 ans que Squinteye a rencontré avec Klatsassin en amont du traversier.

L’Indien à la très grande bouche, un anneau au nez et une moustache noire; il avait un couteau au manche blanc et des jambières rouges. Il avait été malade au campement. Il a tiré sur l’un des hommes qui étaient dans la tente de Petersen.

L’Indien d’environ 20 ans, au visage allongé et foncé, aux cheveux longs et foncés et qui ressemblait à un prêtre. Il est l’un des deux Indiens qui accompagnaient Klatsassin depuis le lotissement urbain.

Le deuxième Indien était un guerrier beau et d’allure vaillante, d’environ 23-24 ans. George, le gendre de Telloot, a dit qu’il avait tiré sur un homme blanc près de la péninsule Seechelt, quelque temps auparavant.

Pour un total de 12, dont 4 n’avaient pas de fusil. Il y avait en tout 16 Chilcotins, mais 4 sont retournés au lac Benshee par les rivières Memeya et Bridge.

Autres indices

En plus de la description précitée, Telloot, le chef, a un parent au lac Tatla.

Les tentes, qui ont été découpées et emportées, portaient l’inscription « J.W. Keiser » dans un cercle.

Il y avait un terrier noir de taille moyenne, d’environ trois ans, au campement; il a probablement suivi les chiens des Indiens.

Les couteaux de table avaient des lames rigides qui, lorsque pointées comme certaines l’ont été par les Indiens, faisaient de bonnes dagues. Les poignées faites d’os avaient des nervures obliques et étaient maintenues par trois rivets. Un baril de poudre a été vidé et son contenu réparti entre les Indiens qui étaient au camp.

Le traversier

Tout ce qui se trouvait à la station a été pillé à l’exception des outils qui n’étaient pas utiles aux Indiens. On a premièrement retrouvé cinq tranches de lard et un sac de fèves cachés dans les buissons et, après plusieurs longues recherches, une autre cache a été découverte à une distance d’environ un demi mille, de laquelle on a récupéré cinq cents livres de lard, deux cents livres de sucre et cent vingt livres de pommes séchées, en plus de quelques ustensiles de cuisine. Dans cette cache cinquante pieds carrés de sol étaient recouverts de sucre, soit environ huit cents livres, de café, de thé, de pommes séchées et de bœuf. Smith, le passeur, semble avoir reçu deux coups de feu par d’arrière alors qu’il était assis devant le feu, une balle se serait logée dans un arbre à trois pieds de lui et la deuxième a ricoché. Il y avait un bain de sang tout près de l’endroit. Le corps a été traîné et jeté dans la rivière, qui était tout près.

Principaux campements

Il est difficile de décrire la scène de dévastation présentée ici. Toutes les tentes ont été découpées et emportées, et tout le camp pillé; ou ce qui en restait a été brisé et détruit – les casseroles ont été réduites en pièces, les scies ont été pliées en deux, les livres et les documents ont été déchirés et dispersés au vent, les vêtements ont été déchirés, et tout était souillé de sang, mais il n’y avait aucun corps. Il était cependant facile de les retracer et de voir la façon dont ils avaient été traînés jusqu’à la rivière avec le sang visible sur les souches et les traces faites sur le sol.

Notes prises le vendredi 20 mai

1re tente – Il y avait beaucoup de sang à l’endroit où reposait la tête de Oppenshaw. On a trouvé son chapeau tout près. Il y avait une mare de sang près de la tête de John Nieuman qui a été trouvé après. On a trouvé sa chemise et son pantalon, la chemise avait deux trous de balle près de l’aine droite, le pantalon n’a pas été touché. Il est évident qu’on lui avait tiré dessus alors qu’il était dans son lit et déshabillé, et on l’a probablement achevé avec un coup à la tête.

2e tente – Le forgeron Scotty avait une mare de sang près de la tête.

George Smith a été trouvé dans les mêmes conditions.

3e tente – Les couvertures de Robert Pollock étaient imbibées de sang, l’intérieur de la paillasse était taché de sang; il a probablement été abattu ou blessé au tronc.

P. Petersen a été blessé et s’est échappé.

4e tente – Peter Buckley a été gravement blessé et s’est échappé.

Le chandail noir de Hoffman était imbibé de sang, sa couverture blanche aussi, sa cravate noire était recouverte de sang, de cheveux et de morceaux de cerveau, sa serviette était pleine de sang. Il semble y avoir eu une lutte pour la vie. On a retrouvé une sacoche en cuir vide et couverte de sang, et un sac de toile pour l’argent.

5e tente – Charles Buttler, le cuisinier, pas de sang. Le sol de sa tente était propre et régulier. On a trouvé son manteau de couleur foncée près du foyer, il avait deux trous de balle dans le dos. Il est évident qu’il était habillé et qu’il venait de quitter la tente, on lui a probablement tiré dans le dos alors qu’il était penché vers le feu. On croit qu’il a été le premier tué.

6e tente – Joseph Fielding. Son pantalon, qu’il avait l’habitude de placer sous sa tête, était trempé de sang.

James Campbell. Sa paillasse et sa catalogne bleue étaient imbibées de sang; un débris de la tente planté dans son corps.

E. Mosely. Il était dans sa tente et s’est échappé sans être blessé. Il avait couché dans une tente différente la veille, les Indiens n’en étaient pas au courant.

Le troisième camp ou camp en amont

À une distance d’environ deux milles en amont du précédent. Le sol était couvert de débris comme à l’autre camp et parsemé de papiers déchirés. C’est près de près cet endroit que P. Buckley, un des hommes blessés, a observé les Indiens diviser le butin dans la soirée. Il était caché dans un trou parmi les rochers au-dessus de l’endroit. Les hommes de ce camp venaient juste de partir pour aller travailler quand la tuerie est survenue, ils étaient dispersés sur le chemin. L’équipe d’exploration de M. Brew est revenue sans avoir trouvé leurs traces, mais M. Waddington et son équipe ont eu plus de succès.

Les corps retrouvés

Le premier corps à avoir été retrouvé est celui de James Gaudet, qui était appuyé à un arbre à flanc de montagne, à environ 50 verges plus bas que le chemin. Une balle lui a traversé l’épaule droite et une deuxième la tempe gauche, le cerveau sortait par la blessure. Le corps était dénudé à l’exception des bas et dans un état de décomposition consternant.

Le corps de John Clarke, le pionnier, a été retrouvé environ 100 verges plus loin et à 75 verges du chemin, en descendant le flanc de montagne. Il a reçu une balle à l’aine, une autre à la cuisse droite et sa tête était meurtrie. Le corps était dénudé et dans un état horrible.

Il est évident que Baptiste Demarest, le troisième en ligne, bûchait du bois à quelques verges de là. Il doit avoir vu ou entendu les deux premiers coups de feu, il a laissé la bûche où il travaillait et il a descendu la pente à la course le plus vite possible, après s’être accroupi sous un arbre, où son mouchoir a été trouvé et reconnu. Ses traces de talons démontrent clairement qu’il a descendu la pente jusqu’au sol couvert de mousse près de la rivière, dans laquelle il aurait sauté de lui-même (car il était simple d’esprit), ou on l’aurait fait sauter et son corps aura été brisé en pièces, ou encore il aurait été fait prisonnier et serait encore en vie car il parlait un peu le chilcotin et il servait d’interprète. Les Indiens le considéraient comme un tillicum (ami).

Le corps de M. Brewster, le contremaître du groupe, a été retrouvé à environ 200 verges vers le bas de la montagne et près du dernier arbre qu’il a marqué. Il avait un trou de balle au sein droit et la lame d’une hache avait traversé sa tempe droite et atteint son cerveau. Une grande incision sur le côté démontrait que le corps avait été vidé et le cœur retiré – probablement pour être coupé et mangé car c’est la plus grande marque de vengeance indienne!! Le corps était dénudé. On a retrouvé près du corps un soulier, le livre de poche et le registre des présences de M. Brewster, et plusieurs lettres écrites par M. Waddington.

Trésor

On a retrouvé parmi les papiers éparpillés un reçu de la Bank of British North America au montant de 200 $ et deux billets de banque de 20 $ appartenant à P. Petersen, et un reçu de 350 $ de la Banque de la Colombie-Britannique appartenant à J. Campbell. Petersen avait aussi des pièces de monnaie, Clarke avait 230 $ et Joseph Fielding avait 50 $. Hoffman et quelques hommes avaient de l’argent qui a aussi été volé.

Les motifs du massacre

Le pillage était certainement un des motifs principaux, mais il n’y a pas de doute que l’objectif principal était d’arrêter les travaux de la route en territoire chilcotin. Le meurtre survenu sur le chemin de Bute Inlet est la continuation à grande échelle de ceux commis à Bella Coola, qui sont toujours impunis et qui prouvent l’aversion que les Chilcotins ont envers l’ouverture de leur pays par les Blancs. Le sentier de Bute a pénétré récemment sur leur territoire et on ne leur a pas offert de compensation. On ne pouvait d’ailleurs s’attendre à ce que M. Waddington le fasse, lui qui a payé 2000 $ en taxes sur la route. Il a réussit à calmer la petite tribu des basses terres il y a deux deux [sic] ans en offrant des cadeaux, mais lorsqu’il a fait une demande de remboursement au gouvernement, on lui a dit qu’il l’avait fait de son propre chef.

La plupart des Chilcotins qui ont commis le meurtre s’étaient rendus au chemin pour la première fois, tel que précité, et M. Brewster et les ouvriers l’avaient particulièrement remarqué. Il n’y a pas de doute que ces hommes ont décidé les Chilcotins des basses terres à commettre l’acte, et leur intention était d’inclure M. Waddington dans la destruction générale, car il est le grand tyhee (chef) et l’unique promoteur de ce projet (en l’absence de sanction ou de protection visible de la part du gouvernement pendant trois ans). Rien d’autre ne peut d’ailleurs expliquer le geste malveillant de destruction de propriété par les Indiens à leur grande perte, ou le meurtre systématique d’ouvriers inoffensifs sans provocation, ou le meurtre de Clarke, le pionnier, qui (en dépit de toute affirmation intéressée contraire) personnifiait la charité même envers eux durant l’hiver. Il est vrai que M. Brewster donnait moins de provisions qu’avant aux Indiens, et qu’une tentative a été faite à tort pour montrer qu’il était devenu l’objet de haine à leurs yeux. Mais même s’ils étaient affamés, les Indiens n’auraient jamais accepté de nourriture en paiement pour le travail effectué et le témoignage général des Indiens prouve qu’il était un homme juste et que même s’il n’était pas particulièrement apprécié pour sa générosité, il n’était pas non plus détesté pour cette raison. Les Chilcotins des hautes terres détestaient autant M. Brewster qu’ils détestaient l’entreprise et ils ont depuis assassiné Manning et l’équipe de M. Waddington sur la partie supérieure du sentier. La mutilation du corps de M. Brewster était un acte de vengeance guerrière connu et la conséquence naturelle du fait qu’il assumait la responsabilité du projet en l’absence de M. Waddington.

On pourrait considérer une troisième et dernière hypothèse soit celle du retrait du gouverneur Douglas, que les Indiens connaissaient depuis 30 ans et pour qui ils éprouvaient un profond respect. Les Indiens ne comprennent d’ailleurs pas comment un chef ou un gouverneur peut perdre son poste sauf par décès. Le départ du gouverneur Douglas s’est avéré pour eux une sorte d’interrègne lequel, jumelé à l’impunité dont ont joui les assassins de Bella Coola et à l’inexactitude évidente des affirmation de M. Waddington qui, pendant trois ans, a prétendu être sous la protection du gouvernement, les a incités à attaquer.

Source: "L’origine du massacre," Daily Chronicle, 29 mai 1864.

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