Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 

Québec, Le Soleil, samedi 29 septembre 1984

Théâtre

La petite Aurore remonte sur scène

Montréal (PC).— Se glisser dans la peau d’Aurore l’enfant martyre ne va pas sans peine. Adèle Reinhart en sait quelque chose depuis qu’elle se donne à ce personnage de victime, maintenant passé au folklore et qu’elle joue sur la scène du ‘‘Quat’sous’’.

par Pierre ROBERGE

‘‘Il faut à la fois de la retenue, de la soumission, une voix qui défaille et des cris déchirants’’ lorsqu’elle est martyrisée, raconte en entrevue la comédienne. Quand la répétition va bien, t’en sors vidée et tu te sens mieux. Autrement, t’as la boule dans la gorge.’’

La triste réalité au départ est la mort de la petite Aurore Gagnon en 1920, dans la circonscription de Lotbinière. La marâtre Marie-Anne Houde vit sa sentence de mort commuée et décéda, deux ans plus tard, dans la section psychiatrique de la prison de Kingston, en Ontario.

Quelques mois à peine après le procès retentissant, le drame fut porté à la scène. Ce mélo – auquel on intercalait parfois des scènes comiques ou des bouts de film muet – fut joué plus souvent que toute autre pièce au Québec, peut-être 5,000 représentations, jusqu’à l’époque où il a été adopté au cinéma (1952).

L’actrice originaire de Hull et dont le dernier rôle était dans ‘‘Les Belles-Sœurs’’, de Tremblay, inclut dans son travail la recherche d’une sorte d’état de grâce du malheur, ‘‘après quoi le corps suit’’.

Elle souligne aussi l’ambiguïté d’Aurore, résidant dans son funestre manque d’énergie et, en même temps, dans l’énergie du désespoir qu’elle manifeste devant la mort.

Au-delà du brutal contraste entre le bien et le mal, entre Aurore et sa marâtre (jouée par Louison Danis), ajoute Reinhart, le metteur en scène René-Richard Cyr veut aller plus loin et montrer la zone grise, où se trouve une enfant qui pourrait bien être née victime.

Aurore ne comprend pas son destin, hésite un peu quand pleuvent les coups. Mais chaque fois le modèle d’éducation, dans ce milieu, à cette époque, prévaut sur l’élémentaire réflexe de survie : ‘‘Et si elle se sauvait de la maison, où irait-elle?’’

Parmi les pièces à conviction du procès, il y a une lettre d’explications à l’institutrice : ‘‘Quand un enfant ne va pas droit, il faut qu’il aille droit…’’, écrit la marâtre qui, ultimement, agissait pour le bien de la fillette.

‘‘Qu’elle dise oui, non ou peut-être, elle sera frappée, dit l’actrice. Elle est pourtant intelligente, même si sa seule défense est de se taire, de se réfugier dans son trou noir.’’

Violence rééditée

Il y a dans le drame une touche d’exotisme : tartines de savon, mains sur le poêle à bois. Mais comme le souligne Reinhart, il ne s’agit pas d’insinuer que c’est loin tout ça et qu’il n’y a plus d’enfants maltraités.

‘‘Dans un cas récent de brûlure par des cigarettes, sur son lit d’hôpital, l’enfant disait aimer son père, au point de l’excuser. ‘‘J’ai peut-être été tannant’’, qu’il disait.’’

Malgré toute la noirceur d’Aurore l’enfant martyre, la comédienne voit le drame comme un moyen de communication valable, au même titre qu’une comédie ou un spectacle de variété : ‘‘Les moments de violence vont libérer les tensions dans le public.’’

Peut-être pire que la violence, il y a l’indifférence de l’entourage, la crainte de se mêler d’une affaire réputée privée. Dans la pièce le curé (Jean-Louis Millette) est au courant de tout mais il l’a appris au confessionnal et il y a le fameux secret de la confession.

‘‘De nos jours, il y a toutes sortes de raisons de ne pas intervenir. Dans la rue, un pas de côté suffit, le petit drame est derrière soi et la vie continue sans problème’’, explique l’interprète d’Aurore.

La nouvelle directrice du Quat’Sous, Louise Latraverse, a choisi ce mélodrame pour marquer le début de son mandat à la tête de la petite salle montréalaise. Elle sait que cette histoire est encore très présente dans la conscience collective.

Le texte actuel a par ailleurs demandé un travail de reconstitution. Pendant des décennies, les troupes de théâtre n’ont donné Aurore qu’à partir de canevas, de réparties sommaires écrites sur des bouts de papier qu’on se transmettait entre comédiens.

René-Richard Cyr a collaboré avec l’écrivain Alonzo Le Blanc, qui avait lui-même recueilli les souvenirs du vieux comédien Marc Forrez, décédé en 1981. Ils se sont aussi basés sur le long métrage et les archives judiciaires, auxquelles manquent toutefois des pièces importantes comme la déposition de l’accusée.

Source: Pierre Roberge, "La petite Aurore remonte sur scène," Le Soleil (Québec), septembre 29, 1984.

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