Aurore - Le mystère de l'enfant martyre
   
 

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Le Devoir 30 septembre 1920, p. 8

LA JUSTICE

SAUVÉE PAR SES ENFANTS

LA SENTENCE DE MORT CONTRE LA FEMME GAGNON QUI DEVAIT ETRE EXECUTEE DEMAIN, EST COMMUEE EN UN EMPRISONNEMENT A VIE. - POUR SES DEUX BEBES.

Ottawa, 30. - (S.P.C.)-La femme Gagnon, qui devait monter sur l’échafaud à Québec demain matin, a vu sa sentence commuée en emprisonnement à perpétuité au pénitencier. Le conseil du Cabinet, qui a siégé spécialement pour étudier ce cas, a rendu sa décision hier soir. Le gouvernement sauve la femme Gagnon de la peine capitale uniquement parce qu’elle nourrit en ce moment les jumeaux auxquels elle a donné naissance, il y a une couple de mois, Les médecins chargés de faire rapport avaient déclaré que faire mourir la mère à ce moment de l’allaitement serait gravement compromettre la vie des deux petits êtres. Bien que depuis une vingtaine d’années il n’y ait pas eu de pendaison de femme au Canada, il est probable cependant que la justice aurait suivi son cours dans le cas de la femme Gagnon, parce qu’elle a causé la mort de sa belle-fille par des atrocités révoltantes. Mais les jumeaux qu’elle a mis au monde se trouvent a sauver la vie de leur mère.

Québec, 30.-Marie-Anne Houde Gagnon a été informée hier soir à la prison de Québec que le gouvernement lui accordait sa grâce et que la sentence de mort prononcée contre elle avait été commuée en un emprisonnement à vie. La meurtrière a appris la nouvelle sans rien dire, puis elle a fondu en larmes, en pressant ses bébés dans ses bras. La nouvelle lui a été apportée par M. J.-N. Francoeur, député de Lotbinière au parlement provincial, qui s’est présenté à la geôle tard hier soir et informa C. Carbonneau, le gouverneur de la prison, qu’il était porteur d’un message important pour la prisonnière. Conduit à la cellule de la femme Gagnon, M. Francoeur lui apprit qu’il avait reçu d’Ottawa un message annonçant la commutation de sa sentence. En même temps, le shérif de Québec, M. Cléophas Blouin, avait communiqué aux autorités de la prison ce message suivant d’Ottawa : «Au shérif de Québec : J’ai l’ordre de vous informer que son excellence le gouverneur général a bien voulu commuer en emprisonnement à perpétuité la sentence de mort prononcée par M. le juge Pelletier contre Marie Gagnon.

Communiquez ce télégramme que je confirmerai par lettre demain. (Signé) Thomas Mulvey, sous-secrétaire d’État.» En recevant cette communication, le shérif Blouin a de suite donné les ordres nécessaires. C’est M. Thomas Vien, député fédéral de Lotbinière, comté où résidait la famille Gagnon, et associé légal de M. Francoeur, qui a présenté la demande du sursie à Ottawa. Bien que les gens de Québec semblaient opposés à ce que la femme Gagnon ait sa grâce, il y avait un courant d’opinion que le Cabinet ne la laisserait pas monter sur l’échafaud, étant donné les conditions extraordinaires de sa maternité. La défense avait pris tous les moyens possibles pour éloigner la terrible sentence. A deux reprises, l’affaire avait été contestée devant les tribunaux de Québec, et, chose assez curieuse, le premier effort pour retarder l’exécution de la sentence a été fait devant le juge Pelletier, celui-là même qui avait prononcé la sentence. Le conseil de la défense avait demandé un sursis, affirmant que l’exécution de la mère mettrait en grave péril la vie des deux enfants. Le juge Pelletier répondit qu’en vertu du nouveau status des juges dans la province, il ne pouvait prendre aucune décision à ce sujet. Alors, on présenta la motion devant le juge Malouin. On attirait son attention sur les rapports des docteurs Fortier et Grondin qui s’étaient rendus chez la prisonnière se renseigner sur son état. Comme on leur demandait si la mère était nécessaire à ses enfants, les deux médecins ont répondu dans l’affirmative. Le juge Malouin voulut savoir si la disparition de la mère entraînerait la mort des enfants. Les médecins dirent que non. C’est pourquoi, il conseilla à M. Francoeur d’en appeler à Ottawa. C’est alors qu’ont eu lieu les démarches qui ont abouti à la commutation de la sentence. Hier, M. le chanoine Beaulieu, aumônier de la prison, a rendu visite à la femme Gagnon, en compagnie de M. le chanoine Larue. Quand les prêtres l’ont quittée, elle paraissait résignée à son sort, comme [manque] d’ailleurs depuis [manque] La dernière [manque]la prisonnière a [manque] quelque émotion fut lorsque les trois enfants Gagnon, dont deux du premier mariage de son mari, ont été emenés en sa presence, de l’hospice Saint-Joseph de la Délivrance, à Lévis, où ils sont sous les soins des religieuses. En les voyant à l’infirmerie de la prison, la femme perdit connaissance, et au départ des enfants, elle sanglotta amèrement. Son frère est allé la voir hier. La population s’est vivement intéressée à cette affaire, en preuve, les nombreuses lettres reçues à Québec et signées la plupart par des mains féminines, et qui demandaient que la loi suive son cours. Une femme de Québec s’offrait d’adopter les jumeaux et de les élever. La prisonnière a été gardée dans l’infirmerie de la prison et a reçu toutes les attentions que l’on peut donner en un tel endroit. L’échafaud n’avait pas encore été dressé, on retardait jusqu’au dernier moment ce détail sinistre.

Source: S.P.C. (Service de presse canadien), "La justice. Sauvée par ses enfants," Le Devoir (Montréal), septembre 30, 1920.

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