Aurore - Le mystère de l'enfant martyre
   
 

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La Presse 19 avril 1920, p. 1

LE CRIME DE SAINTE-PHILOMENE

VISITE A LA MAISON DES GAGNON OU SE CONSOMMA LE LONG ET REVOLTANT MARTYRE DE LA PETITE AURORE

Le consolant spectacle qui s'offre à notre envoyé spécial: deux vieillards les beaux-parents de la marâtre, soignent avec tendresse le bébé de 10 mois que l'accusée a laissé au foyer.- Ce qu'était le mari de la prévenue avant son second mariage.- Un village que soulève l'indignation.

LES MEDECINS EXAMINENT L'ACCUSEE A UN DOUBLE POINT DE VUE

(Du correspondant de la "Presse").

Québec, 19.-Tous ceux qui s'intéressent au procès de la femme Gagnon, accusée d'avoir martyrisé sa belle-fille, la petite Aurore Gagnon -et ils sont légion-ont lu sans doute avec stupéfaction la dépêche publiée par la "Presse" de samedi dernier au sujet de l'inertie inqualifiable de certains officiers de justice dans cette affaire.

Comme nous l'avons dit, un citoyen influent de Fortierville s'est présenté devant un représentant de la Couronne, quelques jours avant la mort de la petite Aurore, lui signalant le fait qu'un crime sans précédent dans les annales criminelles était en train de se commettre à Fortierville et réclamant l'intervention de la justice.

Nous avons dit aussi que ce représentant de la Couronne répondit que ce citoyen devait déposer lui-même une plainte formelle, sans quoi la machine justicière ne serait pas mise en marche pour prévenir la perpétration de ce crime. Nous pouvons dire aujourd'hui que c'est M. Oreus Mailhot, marchand de Fortierville et en même temps que juge de paix, qui a fait auprès des autorités de Québec la démarche que nous avons rapportée.

M. Mailhot avait été informé de quelques-uns des faits révélés au procès de la femme Gagnon et, en bon citoyen, il jugea à propos d'en informer les autorités. Il prit la peine de se rendre à Québec et il se mit en relations avec M. Arthur Fitzpatrick, avocat, l'un des deux substituts du procureur-général à Québec.

Nos lecteurs savent le reste.

Pour "marcher", c'est-à-dire pour prévenir la perpétration d'un crime abominable, la justice exigeait des conditions onéreuses de la part du citoyen charitable qui se donnait la peine de venir l'informer. M. Mailhot devait, selon la coutume malheureusement suivie ici, prendre la responsabilité de déposer une plainte en bonne et due forme. N'étant ni policier ni intéressé personnellement, il refusa de se plier aux conditions exigées de lui. C'est en vain qu'il demanda qu'on envoyât sur les lieux un limier pour recueillir des renseignements ou pour surveiller les auteurs présumés du martyre de la petite Aurore Gagnon, il lui fut répondu qu'il devait se charger de cela s'il voulait voir la justice s'occuper de cette affaire.

M. Mailhot s'en lava donc les mains. Quelques jours après, la pauvre Aurore expirait après avoir souffert encore d'autres traitements atroces, succombant peut-être au coup de grâce qui lui fut donné lorsque, affaiblie par ses cinquante blessures et s'affaissant sur le plancher de la cuisine, elle reçut trois coups de bâton sur le dos.

Voilà des choses qui doivent être mises devant le public.

Depuis les tristes événements de février dernier, M. Mailhot s'est montré un vrai père pour les enfants Gagnon. Quand il est allé les conduire à l'hospice de Saint-Joseph-de-la-Délivrance, à Lévis, au commencement du procès, ces enfants s'attachaient à ses habits, pleurant et le suppliant de ne pas les quitter.

Me FITZPATRICK PROTESTE

Québec, 19.-A l'ouverture de l'audience de ce matin, aux assises, Me Arthur Fitzpatrick, l'un des avocats de la couronne, s'est plaint de la dépêche publiée samedi dans la 'Presse' au sujet de la démarche faite par un citoyen de Fortierville auprès ds [des] autorités, avant la mort d'Aurore Gagnon. Il prétend que cet article est faux, mais il ajoute que le 9 ou le 10 février dernier, M. O. Mailhot de Fortierville, est allé lui dire qu'Aurore Gagnon était maltraitée. M. Mailhot a déclaré qu'il n'avait que des preuves oui-dire. Il a envoyé M. Mailhot faire une enquête et la fillette est morte quelques jours après. M. Francoeur a aussi protesté contre cette dépêche qui tend à incriminer la couronne, dit-il.

Il dit qu'il a reçu des lettres de menaces au sujet de ce procès, et il accuse les journaux de monter l'opinion publique. Le juge Pelletier croit que les explications des avocats sont suffisantes et il est convaincu que la couronne a fait son devoir. Nous enregistrons ici ces remarques en toute justice pour la Couronne mise en cause par M. Mailhot.

CHEZ LES GAGNON

(de l'envoyé spécial de la "Presse")
Fortierville, 19-A une douzaine d'arpents au nord de l'église de Sainte-Philomène de Fortierville, à quelques centaines de verges à l'est de la voie du chemin de fer Lotbinière et Mégantic, on voit une petite maison peinturée en rouge avec une belle grange blanche et les autres petits bâtiments proprets d'une ferme d'apparence prospère.

C'est la maison de Télesphore Gagnon, cultivateur, accusé du meurtre de sa fille, Aurore Gagnon. C'est là que demeurait Marie-Anne Houde, seconde femme de Télesphore Gagnon, accusée du même crime et qui subit actuellement son procès à Québec.

Nous sommes allés faire une visite à cette maison où s'est perpétré l'un des crimes les plus abominables dont nos annales criminelles fassent mention, où une fillette de dix ans, Aurore Gagnon, a subi un martyre dont quelques détails seulement ont été révélés au procès de la femme Gagnon.

C'était hier matin, une heure avant la grand'messe. En arrivant près de la maison, nous voyons un vieillard alerte revenant de la grange où il est allé "faire le train". Il nous reçoit avec bienveillance et nous introduit dans la pièce principale, qui est la cuisine. C'est M. Gédéon Gagnon, père de Télesphore Gagnon.

VIEILLESSE ET ENFANCE

C'est un beau vieillard à tête blanche, de taille moyenne et les épaules carrées, l'air franc d'un travailleur honnête. Sa femme, madame Gédéon Gagnon, qu'il a épousée en secondes noces, est une digne campagnarde courbée par l'âge. Elle se penche sur un berceau où vagit un bébé de dix mois. Ce bébé est l'enfant de Télesphore Gagnon et de l'accusée Marie-Anne Houde. Il souffre d'eczéma et ses grands-parents le soignent avec une tendresse infinie.

Depuis que Télesphore Gagnon et sa femme ont été arrêtés depuis le 14 février dernier, à la suite de l'enquête du coroner au sujet de la mort de la petite Aurore Gagnon, c'est M. Gédéon Gagnon, père de Télesphore, qui prend la place du maître emprisonné. Il avait abandonné depuis quelque temps les travaux des champs, après une vie de labeurs qui lui avait pourtant mérité un meilleur repos. Et voici qu'une catastrophe vient bouleverser le repos de ses vieux jours et qu'il se remet à l'ouvrage comme un jeune homme, avec son épouse.

Nous ne voulons pas parler de la malheureuse affaire à ces bons vieux. Nous ne voulons que jeter un coup d'oeil sur les lieux rendus si tristement célèbres depuis quelques jours. Mais ce sont les vieux qui nous en parlent les premiers, nous demandant des nouvelles du procès qui s'instruit à Québec.

Aucune parole acerbe ne s'échappe des lèvres de ces vieillards. Tous deux ont la foi qui relève les plus abattus et se confient à la Divine Providence. Il n'arrivera que ce qu'il plaira au bon Dieu. Évidemment la sympathie de ces vieux va à Télesphore, ce fils aimé qui a eu le malheur de perdre une première femme, très bonne, et de rencontrer en son chemin une autre femme qui a transformé son caractère.

ENCORE DU SANG

Nous avons visité la chambre où couchait la petite Aurore. Elle n'est plus dans l'état qui a été décrit par les témoins au procès. On y a fait le grand ménage et elle est propre. On a lavé le plancher et les murs qui, comme on le sait, étaient tachés du sang de la petite martyre. Mais on a eu beau faire, on n'a pu tout enlever et nous avons fort bien constaté ici et là qu'il y restait encore quelques taches de sang.

C'est dans un coin de cette chambre, à terre, sans couvertures, que couchait Aurore Gagnon, tandis que ses petits frères et sa soeur couchaient dans des lits. Elle couchait près de la seule fenêtre du pan-est de la maison, exposée aux courants d'air provenant de cette fenêtre.

CE QU'ETAIT TELESPHORE GAGNON

Les bâtiments de la ferme sont dans un état de propreté extrême. Télesphore Gagnon était reconnu comme un excellent cultivateur et même comme un homme habile dans presque tous les métiers. Il était forgeron, maçon charpentier, tout ce que vous voudrez, et il n'avait jamais recours à des hommes de métier pour faire les travaux nécessaires à ses bâtiments. Plus que cela, il s'engageait même souvent pour faire des travaux de maçonnerie dans la paroisse, et cela tout en ne négligant aucunement les travaux de la terre.

A force de travail, il était devenu le propriétaire d'une belle ferme qui vaut bien quelque $10,000 et il avait de l'argent prêté.

C'était un homme tranquille, qui ne se mêlait jamais que de ses affaires. C'est à tort qu'on a prétendu que c'était un être redouté dans toute la paroisse. C'est un colosse, mais il ne s'occupait pas des autres, ne fréquentait personne et pas-

A suivre sur la page 23

LE CRIME DE SAINTE-PHILOMENE

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sait ses loisirs à faire la chasse. On le disait excellent tireur. Et c'est cet homme qui, en quelques mois, serait devenu la brute que l'on prétend? Nous le saurons lors de son procès, qui doit commencer aussitôt après celui de sa femme.

Nous avons laissé M. et Madame Gédéon Gagnon au moment où le premier se préparait à partir pour la grand'messe avec un autre de ses fils. La vieille nous disais, en nous montrant la bébé malade: "Ah! si le bon Dieu venait le chercher, que je serais donc contente!"

NULLE SYMPATHIE POUR L'ACCUSEE

Comme nous l'avons dit, la femme Télesphore Gagnon, l'accusée, n'est pas de Sainte-Philomène de Fortierville, mais de Sainte-Sophie de Lévrard, comté de Nicolet. Elle n'a aucun parent à Fortierville. Aussi ne faut-il pas s'étonner que nous n'ayons entendu ici aucune parole sympathique à son adresse. Mais parent ou non, personne ne saurait, dans son for intérieur, ressentir quelque sympathie pour l'auteur d'un crime aussi abominable que celui qui a été prouvé durant le procès de la femme Gagnon à Québec.

Tous les citoyens de Fortierville sont unanimes à réclamer que cette femme soit punie comme elle le mérite.

Quelqu'un nous disait:-"Est-ce vrai que l'on veut essayer de la faire passer pour folle Quelle farce! Elle? Folle? Jamais de la vie! Chétive, oui, tant que vous voudrez, mais pas folle, oh! non!"

Comme nous lui faisions remarquer que cette femme, si elle était déclarée folle, serait envoyée dans un asile d'aliénés, il reprit avec le plus grand sérieux: "Elle n'y restera pas deux jours. On ne tardera pas à s'apercevoir là que ce n'est pas une folle!"

Enfin nous avons entendu ces paroles: "J'ai bien peur qu'elle soit assez fine pour se faire passer pour folle!"

LE CURE TEMOIGNERA

M. le curé J.-Michel Ferdinand Massé, de Fortierville, est appelé à rendre témoignage dans le procès de la femme Gagnon. Le détective Lauréat Couture de la police provinciale, qui a conduit la cause si habilement depuis deux mois, est venu faire connaître au curé la demande des avocats de la couronne, et le curé s'y est rendu de bonne grâce. Hier, au prône de la grand'-messe, l'abbé Massé a annoncé qu'il partit pour Québec aujourd'hui, appelé à rendre témoignage.

"J'avais, dit-il préparé un programme de messes pour cette semaine, mais me voilà bien dérangé, je suis obligé de descendre à Québec pour la triste affaire que vous savez. Irai-je témoigner devant la cour ? Je ne le sais pas. J'ai un supérieur ecclésiastique et je vais le consulter au préalable."

L'abbé Massé dit que sa tâche est grave et peut avoir de grosses conséquences pour la paroisse. Il se recommande aux prières de ses paroissiens. Annonçant ensuite une quête à domicile par les marguilliers en faveur de Madame veuve Anthime Gagnon il demande à ses ouailles de donner généreusement disant que leur aumône servira à expier les scandales publics qui se sont passés dans la paroisse.

L'abbé Massé ne doit être interrogé que sur l'état mental de l'accusée. Il est évident qu'il peut se retrancher derrière le secret de la confession pour la plus grande partie de la connaissance qu'il a de l'accusée.

SA SEULE CHANCE

Québec, 19.- La seule chance qui reste à la femme Gagnon de sauver sa tête est de passer pour folle. C'est ce que ses défenseurs s'évertuent à faire depuis vendredi, à la suite des témoignages accablants rendus contre elle par tous les témoins de la Couronne, surtout par les enfants de son mari et même par son propre fils, Gérard Gagnon.

Depuis hier, des médecins aliénistes sont à faire un examen de l'état mental de l'accusée, et d'autres médecins ont examiné son état physique, tout cela pour la défense.

L'audience de samedi a été de courte durée. Dès l'ouverture, l'hon. M. Francoeur, défenseur de l'accusée, a déclaré formellement qu'il avait décidé de plaider folie, dans l'intérêt de sa cliente.

LA COUR PERMET

Le juge Pelletier permet à la défense de plaider irresponsabilité pour cause de folie.

M. Francoeur explique qu'il voudrait aussi prouver l'état spécial actuel de l'accusé au point de vue physique. Il demande que des médecins l'examinent et le juge accorde cette demande.

MOBILISATION D'ALIENISTES

M. Francoeur cause un certain émoi en déclarant qu'il a été obligé de recourir à des aliénistes de Montréal pour faire examiner sa cliente, attendu que la Couronne a mobilisé tous les aliénistes de Québec pour sa cause, et cela dès vendredi matin.

SPECTACLE REGRETTABLE

C'est alors que le juge Pelletier fait remarquer combien est regrettable le spectacle qu'offre la profession médicale en se divisant ainsi en deux camps opposés dans cette malheureuse cause.

Le juge répète la suggestion qu'il a faite la veille et qu'il voudrait voir réaliser sans délai. Il voudrait que le gouvernement nommât une commission permanente d'aliénistes qui seraient chargés de faire l'examen mental de tous les accusés quand l'occasion s'en présente. On éviterait ainsi des polémiques malheureuses.

L'ETAT PHYSIQUE

M. Francoeur suggère que les docteurs A. Marois et Emile Fortier soient chargés de faire l'examen de l'accusée au point de vue physique, de constater son état intéressant et de rechercher si elle souffre de quelque maladie physique.

Cette demande est accordée par le juge.

L'ETAT MENTAL

Quant à l'état mental, M. Francoeur demande que l'accusée soit examinée par le Dr Alcide Tétrault, médecin de l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal, et le Dr Albert Prévost, professeur à l'université de Montréal, assistés des Drs Achille Paquet et Emile Fortier, de Québec.

Cette demande est aussi accordée par le juge.

AJOURNEMENT A CE MATIN

Le juge Pelletier a accordé (samedi) l'ajournement de la cause à ce matin (lundi) en disant au jury combien il regrette de le voir détenir plus longtemps qu'il ne l'avait espéré. Mais il dit que, dans un procès pour meurtre, c'est son devoir impérieux de donner à l'accusée toutes les chances possibles de se défendre et d'accorder à la défense le pouvoir de faire valoir tous les moyens possibles, soit au début du procès, soit au milieu ou à la fin. Il est évident que les médecins aliénistes qui vont examiner l'accusée ne risqueront pas leur réputation en venant témoigner sur l'état mental de celle-ci sans l'avoir examinée de toutes les façons possibles.

Le juge console les jurés en les assurant que, d'ici à la fin de leur détention, on leur fournira toutes les distractions possibles, promenades, etc., de façon à leur faire oublier un peu qu'ils sont gardés.

UN DEFILE DE MEDECINS

(Du correspondant de la PRESSE)
Québec, 19-Depuis samedi midi, il y a eu à la prison de Québec une vraie procession de médecins qui sont allés examiner la marâtre au point de vue mental et physique. Les médecins autorisés par la défense à faire ces examens y sont allés en premier lieu, puis ils ont été suivis de ceux que la Couronne a chargés de faire la même chose.

UN RUDE INTERROGATOIRE

La femme Gagnon a été soumise à un interrogatoire qui a duré plus de trois heures et qui a été très fatigant. Si elle n'est pas folle il faut qu'elle ait la tête solide pour résister à cela.

MALADE LUI AUSSI

Georges Gagnon, frère d'Aurore, l'un des témoins de la Couronne, qui était à l'hospice Saint-Joseph de la Délivrance, à Lévis, depuis le commencement du procès, est tombé malade de la grippe lui aussi et il est rendu à l'hôpital privé du Dr Jean Dussault, rue Saint-Jean, à Québec, où se trouvait déjà le petit Gérard Gagnon. Il peut y avoir confusion dans le public au sujet de la filiation dans cette famille et cela tient de ce que l'accusée, avant d'épouser Télesphore Gagnon, avait épousé en premières noces, un autre homme du nom de Gagnon également. C'est de ce dernier qu'elle eut Gérard, cet enfant qui a témoigné contre elle l'autre jour.

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LE CRIME DE SAINTE-PHILOMENE

Ce que disent les médecins qui ont examiné l'accusée.- Le mari Télesphore Gagnon, accusé de meurtre également, est entendu.

LA FAMILLE DE LA PREVENUE

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Québec, 19-La défense dans l'affaire Gagnon a commencé à faire entendre des témoins sur l'état physique de l'accusée. Le Dr Lafond, de Parisville, déclare qu'il a traité l'accusée deux fois pour des accouchements à termes. Le Dr Emile Fortier, de l'hôpital Saint-François d'Assises, qui a examiné l'accusée à la prison samedi et dimanche, déclare que cette femme est dans un état intéressant de 6 mois et demi.

Elle souffre d'une maladie dont le nom scientifique se traduit vulgairement par inflammation des reins. Ses jambes sont enflées. Elle est anémique. Il cite aussi une foule de noms de symptômes de maladies qu'il croit avoir constatés par l'examen des urines. Elle n'est pas en danger de mort? demande le juge. Non, dit le Dr Fortier.

Le Dr Albert Marois, médecin, a examiné l'accusée en même temps que le Dr Fortier, et il en arrive à peu près aux mêmes conclusions que ce dernier, sauf quelques variantes.

Il y a congestion du rein. Il ne croit pas à une inflammation du rein sans prétendre qu'il n'y a pas une lésion minime du rein et cela peut provenir de l'état actuel de l'accusée. Il ne considère pas cela comme une malade. Le Dr Arthur Vallée, qui a fait une analyse de l'urine de l'accusée, en présente le rapport à la cour. Il conclut à des traces minimes d'albumine.

En réponse à Me Francoeur, le Dr Vallée dit qu'on ne saurait affirmer ni nier catégoriquement la présence de maladies du rein, à moins d'avoir le rein dans la main. M. Francoeur appelle ensuite Télesphore Gagnon mari de l'accusée, et qui est lui même accusé de meurtre. Télesphore Gagnon est un garçon de 37 ans, mesurant plus de six pieds. Le juge Pelletier lui déclare que tout ce qu'il pourra dire ne pourra servir contre lui à son procès. Télesphore Gagnon dit qu'il a épousé l'accusée il y a deux ans; qu'il a eu deux enfants, dont un mort et un vivant. Quand sa femme est dans un état intéressant, il constate un changement considérable dans son état, sous le rapport de la nervosité. Elle devient têtue. Il ne faut pas la contrarier.

Elle était alors des heures sans dire un mot. "Dans ce temps là, je ne parlais pas non plus dit-il.

M. Francoeur lui demande s'il sait que le père de l'accusée faisait un usage considérable de boissons alcooliques. Il répond qu'il le sait par sa femme. En réponse à M. Fitzpatrick, le témoin dit: "ma femme aimait mes enfants de mon premier mariage autant que les siens propres. Elle ne m'a jamais dit qu'elle détestait Aurore plus que les autres.

-Ne disait-elle pas qu'Aurore faisait des saletés?
-Je le savais, je l'ai constaté moi-même.

Le témoin est alors renvoyé en prison.

Madame Demers, de Trois-Rivières, qui connaît bien la famille de l'accusée, est interrogée sur les antécédants de cette famille. Chez les hommes, elle en a vu sous l'influence des boissons enivrantes. Une soeur de l'accusée, Ernestine, est morte à Lyster. Le témoin a vu cette femme battre son enfant plusieurs fois. Une fois, elle l'a vu battre un enfant de son mari, avec une courroie, pour lui faire faire sa prière. Cette femme disait: "Je le déteste trop".

Le témoin crut à propos de lui ôter des mains, son enfant. C'était un enfant de cinq ans. Une autre soeur de l'accusée menait une vie dissolue avant de se marier. Le témoin n'a jamais su que le père de l'accusée fut ivrogne. A 11 heures 45, l'audience est suspendue pour dix minutes.

A la reprise de l'audience, les témoins appelés par la défense n'étant pas arrivés, le procès a été remis à cet après-midi.

Source: Correspondant La Presse, "Le crime de Sainte-Philomène. Visite à la maison des Gagnon où se consomma le long et révoltant martyre de la petite Aurore," La Presse (Montréal), avril 19, 1920.

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