Aurore - Le mystère de l'enfant martyre
   
 

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La Presse 16 avril 1920, p. 1

LE MARTYRE D'AURORE GAGNON

MARIE-JEANNE GAGNON, SOEUR DE LA DEFUNTE, DECLARE QUE LA PREVENUE TOURMENTAIT SA VICTIME AVEC UN TISONNIER ROUGI AU FEU

La fillette ajoute que la belle-mère, toutes les nuits, montait dans la chambre de la victime pour la battre avec des "éclats" de bois.- L'institutrice, Mlle Saint-Onge, vient déclarer que la petite martyre était une enfant sage, obéissante et très intelligente.- La victime fut battue avec un manche de fourche le jour même de sa mort.

LETTRE COMPROMETTANTE ECRITE PAR LA PREVENUE, A SES BEAUX-PARENTS, ALORS QU'ELLE ETAIT EN PRISON A QUEBEC

Le tribunal au complet se transporte ce matin à l'hôpital Dussault pour entendre la version du jeune Gérard Gagnon, frère de la victime, malade de la grippe.

LE TEMOIGNAGE QUE REND GERARD GAGNON

(Du correspondant de la PRESSE)
Québec, 16.-Les éléments d'émotion continuent d'affluer au procès de la femme Gagnon, accusée d'avoir martyrisé sa belle-fille Aurore, qui a succombé à l'âge de 11 ans, laquelle était la propre enfant du mari de la prévenue, le nommé Télesphore Gagnon, qui subira aussi son procès sous une accusation de meurtre.

Les témoignages accablants qui ont été entendus hier ont causé dans notre ville un émoi facile à concevoir. Il est heureux que le huis-clos a été observé hier, car si une foule comme celle des premiers jours du procès eut entendu les témoignages rendus, hier, on aurait pu s'attendre à quelque manifestation regrettable.

LA PREVENUE PLEURE

L'accusée se tient toujours la tête entourée d'un voile noir opaque qui ne laisse rien soupçonner de ses traits. On a pu seulement constater hier après-midi, à la fin du témoignage du jeune Georges Gagnon, fils de son mari, qu'elle sanglotait.

L'audience d'hier après-midi a été consacrée à la fin du témoignage de Marie-Jeanne Gagnon, soeur d'Aurore, à celui de Georges Gagnon, frère d'Aurore, et à celui de Mlle Saint-Onge, institutrice.

Au début de la séance, le juge Pelletier rassura Marie-Jeanne Gagnon et lui conseilla de prendre les choses avec sang-froid. Il dit que M. Francoeur a le droit et même le devoir de l'interroger comme il l'a fait. Il lui demande donc de répondre sans crainte, l'assurant qu'il ne lui sera fait aucun mal.

LETTRE COMPROMETTANTE

M. Fitzpatrick dépose devant le tribunal une lettre écrite par la femme Gagnon, pendant qu'elle était en prison et adressée à son beau-père et à sa belle-mère, M. et Mme Gédéon Gagnon, de Saint-Philomène.

M. Francoeur s'objecte à la lecture de cette lettre, mais le juge rejette cette objection et fait lire la lettre. Nous en publions ici le texte, en respectant le style et les fautes d'orthographe.

Adresse: Télesphore Gagnon, 311 avenue Wolfe, Haute Ville, Québec.

Bien chèr mère et cher père je vous écrit quelques mot pour vous dire que mon mari est bien et moi il y a 5 jours que je suis au lit de la grippe mais la je vais me lever demain cest pour cela que l'enquète est retardé cest bien long et bien ennuiant nous avons bien hâte de s'en aller sa peut aller au commencement de la semaine du 29 cest bien long comme vous voyez oubliez nous pas dans vos prieres ainsi que les enfants il vont aller chercher Gerard pour lenquete vous lui direz quand même le detective le questionnerait qu'il ne parle pas il n'a pas le droit et cest ce qui a fait a Marie Jeane et à la cours qu'ils disent rien que oui ou non vous lui direz parceux que lui vous comprenez il est sourd il peuvent lui faire dire ce quil voudront vous lui direz si la petite pleure bien et si les autres nesont pas malades memère vous prendrez de la flanelette quil y a dans ma chambre et faite faire chacun 2 chemises au petit et si vous avez besoin de quelques choses pour manger aller chez Mde Baril et la petite si elle pleure donnez-lui du sirop laissez la pas pleuré et le linge salle ne lavez pas cela attendez que je sois rendu ne donnez pas de nouvelle à personne repondez moi tout de suite et dite tous comment cela se passe et memère doit être fatiguée mais leBon Dieu la recompensera rien ne se perd oubliez nous pas dans priere et les enfants non plus Bien des gros becs à tous Marie Jeane elle est bien elle aussi reponse de suite et priez pour nous autres.

Enveloppe: Mrs Gedeon Gagnon, Fortierville, comté de Lotbinière, P. Q.

MARIE-JEANNE GAGNON

Me Francoeur reprend alors le contre-interrogatoire de la soeur de la victime.

-N'avez-vous jamais couché avec Aurore?
-Non.
-N'avez-vous pas couché avec elle en revenant de l'hospice d'Youville?
-Non.
-Et avant que l'accusée soit mariée avec votre père, durant les vacances?
-Non, Aurore n'a jamais passé les vacances-là dans ce temps-là.
-Vous avez dit que votre mère montait souvent battre Aurore en haut?
-Oui.
-Tous les soirs?
-Toutes les nuits.
-Etiez-vous éveillée?
-Ça me réveillait quand Aurore criait.
-Gérard couchait en haut?
-Oui, mais pas dans la même chambre.
-Avec quoi l'accusée battait-elle Aurore en haut?
-Avec des éclats de bois.
-Avait-elle une lampe?
-Oui, tout le temps.
-N'est-il pas vrai que votre mère est montée une fois la nuit parce qu'Aurore était couchée avec ses petits frères?
-Oui, c'est arrivé une fois. (Ici Marie-Jeanne se met à pleurer à chaudes larmes. Quelques instants après elle continue): Aurore avait froid et elle a voulu se réchauffer.
-Vous avez dit qu'Aurore souillait son lit parce que l'accusée lui enlevait le vase de nuit?
-Oui.
-Quand cela est-il arrivé?
-Un mois avant sa mort.
-Faisait-elle cela seulement quand il n'y avait pas de vase?
-Oui.
-Y avait-il une chaudière dans la chambre?
-Non.
-Vous jurez que cela n'est arrivé dans aucun autre cas?
-Non, du moins je ne m'en souviens pas.
-Avez-vous déjà mis des onguents sur les plaies d'Aurore?
-Oui, l'été dernier, papa m'en a fait mettre.
-Aurore se grattait-elle?
-Non.
-Aurore ne grattait pas ses boutons?
-Non, elle n'avait pas de boutons.
-N'avait-elle pas de gales?
-Oui.
-Ne grattait-elle pas ses gales pour s'essuyer les mains ensuite sur le mur?
-Non.
-Vous-même n'avez-vous jamais brûlé Aurore?
-Non, je n'ai jamais brûlé Aurore.
-Une fois quand votre mère était à la grange, n'avez-vous pas fait prendre à Aurore le tisonnier rougi?
-Non, c'est elle (l'accusée) qui faisait cela, et elle disait: "Regarde si elle est folle, elle ne sait pas prendre le tisonnier sans se brûler."
-Le tisonnier était-il rouge?
-Oui.
-Comment le saviez-vous, si, comme vous l'avez dit, vous vous teniez dans la fenêtre et regardiez dehors quand cela se passait?
-Je regardais dehors seulement quand elle brûlait Aurore, mais pas quand elle faisait rougir le tisonnier dans le poêle.
-Sur quelle longueur faisait-elle rougir le tisonnier?

(Ici le témoin montre avec ses mains une longueur de 7 à 8 pouces.)

-Qu'est-ce qui arrivait après cela?
-La peau des mains partait.
-Combien de fois cela est-il arrivé?
-Je ne sais pas. Je me rappelle que c'est arrivé trois fois que la peau des mains est partie.
-Combien de fois l'accusée a-t-elle brûlé Aurore?
-Je ne sais pas.
-Quand l'a-t-elle brûlée pour la première fois?
-C'était en janvier dernier.
-Et les autres fois?
-Je me rappelle que c'est arrivé une fois en février.
-Sur quelle partie du corps la brûlait-elle?
-Partout.

A suivre sur la page 27

LE MARTYRE D'AURORE GAGNON

Suite de la première page

-Mais encore?
-Sur les pieds, sur les bras, sur les mains, sur les poignets...
-L'a-t-elle brûlée sur le visage?
-Non....Je ne connais pas bien toutes les places où elle l'a brûlée, mais je sais qu'elle l'a brûlée assez qu'Aurore en est morte.

LES AUTRES AVAIENT PEUR

-Où le père se tenait-il dans ce temps-là?
-Papa n'y était pas, il était au clos.
-Quand il revenait à la maison est-ce que vous lui disiez ce qui s'était passé?
-Non.
-Pourquoi?
-Nous avions peur de nous faire battre.
-Par qui?
-Par maman.
-N'est-il pas vrai que vous racontiez toutes vos chicanes à votre père quand il arrivait à la maison?
-Non.
-Et si votre père venait jurer cela, est-ce qu'il ne dirait pas la vérité?
-Il ne peut pas dire cela.
-Votre père ne vous a-t-il jamais fait des remontrances au sujet de votre conduite avec vos frères et soeurs?
-Non.
-Ne vous a-t-il jamais donné quelques conseils quand vous partiez pour aller à confesse?
-Non
-Et quand vous reveniez de confesse?
-Non.
-Quand Aurore a-t-elle tombé sur le panneau du poêle?
-C'était dans le mois de janvier.
-Où le père se trouvait-il alors?
-Il était allé veiller le corps de mon oncle Anthime.
-Aurore s'était fait mal à l'oeil, n'est-ce pas?
-Quel oeil?
-L'oeil gauche. Il était boursouflé et noir.
-Votre mère a-t-elle pansé cet oeil?
-Elle a mis du pain bouilli avec du lait et cela a guéri... Le soir que cela est arrivé, Aurore n'avait qu'un oeil de noir. Le lendemain matin elle avait les deux yeux noirs. Je ne sais pas comment cela est arrivé... J'ai fait une erreur tantôt,
c'est durant la maladie de mon oncle qu'Aurore est tombée sur le panneau du poêle. Papa était allé veiller chez mon oncle malade.
-Quand votre mère a-t-elle pansé ces blessures?
-Seulement trois jours après l'accident, le soir que ma tante Rose-Anna ets [est] venue.

LE BAILLON

-Reconnaissez-vous cette "strap" (courroie)?
-Oui.
-Vous avez dit qu'Aurore a été baillonnée avec cette courroie, combien de fois?
-Une fois.
-A quoi servait cette courroie?
-Le père s'en servait quand il allait à la chasse.
-Vous reconnaissez cette hart?
-Oui.
-N'est-il pas vrai que vos petits frères s'en servaient pour jouer dans la maison, en haut?
-Ils jouaient en haut quelques-fois, mais pas avec cette hart, c'était avec un bout de fouet.
-Combien de fois ont-ils joué en haut comme cela?
-Je ne m'en souviens pas.

MARIE-JEANNE SE CACHAIT

-Vous rappelez-vous être déjà partie de la maison pour aller vous cacher dans le bois?
-Je me le rappelle.
-Combien de fois cela vous est-il arrivé?
-Je ne sais pas.
-N'est-il pas vrai que votre père vous a rencontrée une fois dans le bois et vous a ramenée à la maison?
-Oui, je n'étais pas cachée dans le bois, je m'en allais au village parce que maman m'avait donné la volée, je ne me rappelle pas pourquoi. Je crois que c'était le jour que maman était revenue de Québec. Elle m'avait demandé de faire un
ouvrage et elle était revenue avant que je l'eusse fini. Elle m'a alors dit: "Tu vas en manger une bonne".
-Vous rappelez-vous être revenue un jour à la maison en disant que vous aviez vu des bêtes dans la grange?
-Ca, c'est sûrement pas vrai.
-Après vos fuites comme cela, vous retourniez à la maison quand vous reveniez à vous?
-J'étais à moi quand je partais.
-Vous avez dit que le jour de la mort d'Aurore, votre mère l'a frappée avec un manche de hache?
-Non, c'était avec un manche de fourche.
-Où l'avait-elle pris?
-Dans le hangar.
-Aurore a-t-elle déjeuné ce matin-là?
-Non.
-Votre mère lui a-t-elle offert à déjeuner ?
-Oui, mais Aurore ne voulait pas. Elle n'avait que la moitié de sa connaissance, elle faisait signe que non.
-Sur quel endroit du corps l'a-t-elle frappée ce jour-là ?
-Sur le dos.
-Combien de coups votre mère a-t-elle donnés ?

DROLES DE GESTES

-Trois coups: peut-être en a-t-elle donné d'autres, mais je n'en ai remarqué que trois. En arrivant en bas, Aurore était tombée écrasée sur le plancher. Maman a dit: "Ce sont des gestes". Puis elle lui donna trois coups de manche de fourche sur le dos. Maman était allée la chercher en haut en disant: "La vache elle n'est pas pour rester couchée toute la journée".

CHEVEUX ARRACHES

-Vous dites que vous avez vu votre mère arracher les cheveux d'Aurore ?
-Oui.
-Aurore avait-elle les cheveux courts?
-Oui.
-Comme ceux d'un petit garçon?
-Oui, mais assez longs pour que le fer à friser pût faire deux tours.
-Est-ce que cela paraissait qu'Aurore avait des cheveux arrachés?
-Oui, elle avait une plaque en arrière de la tête.
-De quelle dimension?
-Je ne sais pas, mais ça se voyait.
-Il n'y avait pas besoin d'être médecin pour voir cela, n'est-ce pas?
-Non.
-Montrez donc sur votre tête l'endroit exact de cette plaque?
-Je ne me le rappelle pas.
-C'était peu de temps avant sa mort?
-C'était dans les derniers quinze jours.
-Les cheveux ont-ils repoussé à cet endroit-là?
-La matin qu'elle est morte, je l'ai vue et ça n'avait pas repoussé.
-Etait-ce enflé?
-Je ne sais pas, mais il y avait une gale.
-Après la mort, vous avez enlevé les draps de son lit?
-Il n'y avait pas de draps.
-Combien de fois Aurore a-t-elle été accusée par sa mère d'avoir déposé des saletés dans les habits de son père?
-Une fois et c'était ma mère qui avait fait cela. Elle a pris des ordures et elle a mis cela dans le capot de papa.
-Ne vous rappelez-vous pas qu'Aurore a fait des ordures dans un chapeau?
-Je n'ai jamais eu connaissance de cela.

Ainsi se termine le témoignage de Marie-Jeanne Gagnon, le plus formidable qui ait été entendu contre l'accusée.

Mlle SAINT-ONGE

Mlle Saint-Onge, maîtresse d'école à Sainte-Philomène depuis un an, est ensuite entendue, et interrogée par M. Fitzpatrick.

-Avez-vous déjà rencontré l'accusée?
-Oui, une fois.
-Connaissiez-vous Aurore Gagnon?
-Oui, elle a été une de mes élèves.
-Combien de temps a-t-elle été à votre école?
-A peu près un mois.
-Quand cela?
-En mai dernier.
-Elle n'y est pas retourné?
-Non.
-Quelle sorte d'enfant était-ce?
-C'était une enfant très tranquille, très sage et obéissante.
-Etait-elle intelligente.
-Oui, très intelligente.
-Avez-vous jamais remarqué quelque chose d'anormal à son sujet?
-Non, jamais.

Interrogée par M. Francoeur, Mlle Saint-Onge dit que son école se trouve située dans le septième rang. C'est une école élémentaire. Marie-Jeanne et les autres enfants Gagnon ne sont allés à son école qu'en septembre dernier.

GEORGES GAGNON

Le témoin suivant est le petit Georges Gagnon, âgé de 9 ans, frère d'Aurore et de Marie-Jeanne. Il est le fils de Télesphore Gagnon, et le beau-fils de l'accusée. Comme il donne une bonne signification de ce que c'est qu'un serment, on l'assermente.

Interrogé par M. Fitzpatrick.

-Où demeurais-tu l'hiver dernier?
-Chez mes parents.
-Tu es le petit frère d'Aurore Gagnon?
-Oui.
-Où couchait-elle Aurore?
-En haut, dans le grenier.
-Toute seule?
-Oui.
-Et les autres?
-Nous autres nous couchions dans l'autre côté.
-Qui ça, vous autres?
-Moi et Gérard.
-Et Marie-Jeanne, où couchait-elle?
-Dans la même chambre d'Aurore, mais pas dans le même lit.
-Te rappelles-tu quand Aurore est tombée malade?
-Oui.
-Qu'est-ce qu'elle avait?
-C'est parce que maman ne faisait rien que la fesser, la battre et la brûler avec un tisonnier.
-Quelqu'un vous a-t-il demandé de dire cela?
-Non, personne.
-As-tu vu ta mère attacher la bouche d'Aurore avec une "strap"?
-Oui, quand elle lui attachait aussi les pieds à la table.
-Avec quoi la fessait-elle ?
-Avec un bâton.
-L'a-t-elle fessée avec autre chose ?
-Oui, avec une hart qui était en dessous de l'armoire.
-Etait-ce avec cette hart-ci ?
-Oui, je la reconnais.
-Reconnais-tu ce tisonnier ?
-Oui.
-As-tu vu ta mère battre Aurore avec ce tisonnier ?
-Oui.
-Combien de fois ?
-Deux fois.
-Etais-tu là le matin de la journée qu'Aurore est morte?
-Je l'ai vue quand elle commençait à déparler. Elle était sur une paillasse avec pas grand paille dedans. Maman lui a donné un coup de pied dans le ventre pour lui faire descendre l'escalier plus vite. J'ai vu maman traîner Aurore par terre.
-Qu'est-ce que c'est qu'Aurore mangeait ?
-Elle ne mangeait pas.
-Buvait-elle ?
-Elle ne buvait pas. Maman la guettait pour qu'elle ne boive pas.
-La journée qu'elle est morte, ta mère lui a-t-elle donné quelque chose à boire ?
-Oui, dans une tasse.

AURORE BUT DE LA LESSIVE

-Y avait-il du "lessi" (de la lessive) dans la maison ?
-Oui, maman lui en a fait boire un peu. Papa n'y était pas. Le "lessi" était dans une cuvette pour laver le plancher. Maman lui a dit: "Tu vois comme c'est bon. C'est sucré".

M. Francoeur, tout en restant assis, pria le petit Georges de continuer son histoire jusqu'au bout.

-Tu dois savoir autre chose?
-Oui. Aurore ne mangeait pas "pantoute". Maman mettait des cochonneries dans la place et elle disait que c'était Aurore.
-Tu as fait serment de dire la vérité?
-Oui et c'est la vérité que je dis.
-C'est la vérité que tu viens de dire contre ta mère?
-Oui.
-Tu es content?
-Oui.
-Tu as fait un beau voyage?
-Oui.
-Tu es content de te trouver à Québec avec toutes tes gens de Ste-Philomène?
-Oui.
-Tu te trouves bien à Québec?
-Oui.
-Tu es bien logé à l'hôtel Blanchard?
-Oui.
-Tu es bien nourri?
-Oui.
-Ton père et ta mère qui se trouvent à la prison sont-ils bien nourris?
-Je sais pas.
-Tu es allé les voir en prison?
-Oui.
-Ils sont bien là?
-Oui.
-Tu n'es pas venu à l'enquête préliminaire?
-Non. J'étais au couvent.
-Tu es bien content d'être venu au procès?
-Oui.

UN CONTRETEMPS

Après ce témoignage, le juge suspend l'audience, puis il revient quelques temps après en annonçant qu'il est survenu un gros contretemps à ce procès. Le jeune Gérard Gagnon, frère d'Aurore, que la Couronne dit être un de ses principaux témoins, est malade à l'hôpital du Dr Jean Dusseault et son médecin déclare qu'il ne pourra venir rendre témoignage cette semaine devant la Cour. Il est cependant en état de rendre témoignage. A moins que l'on n'ajourne le procès à lundi prochain, ce qui serait malheureux pour le jury et pour tout le monde la Cour pourrait se transporter à l'hôpital pour entendre ce témoignage. Mais il faut pour cela le consentement unanime des avocats des deux parties.

Après quelque discussion, M. Francoeur déclare qu'il ne peut prendre immédiatement la responsabilité d'accepter une pareille proposition et la question est remise à ce matin.

A L'HOPITAL JEAN DUSSAULT

(Du correspondant de la PRESSE)
Québec, 16. -C'est à l'hôpital privé du Dr Jean Dussault, rue Saint-Jean, que se continue ce matin, le procès de la femme Gagnon. C'est en effet là que se trouve le jeune Gérard Gagnon, frère d'Aurore, qui est l'un des principaux témoins de la Couronne, et qui est malade, souffrant de la grippe. A la reprise de l'audience, ce matin, au Palais de Justice, M. Francoeur, avocat de l'accusée, a déclaré qu'il consentait à ce que la Cour se transportât à l'hôpital privé du Dr Dussault pour entendre le témoignage du jeune Gérard Gagnon. C'est ce qui a été fait immédiatement et tous les officiers de la Justice ainsi que les avocats des deux parties, la prisonnières et ses gardiens sont allés en voiture à l'hôpital. Il y avait une trentaine de personnes.

CE QUE DIT LE JEUNE GERARD

A la porte de l'hôpital Saint-Louis de France, qui est l'hôpital privé du Dr Dussault, il se trouve des curieux qui ont suivi le tribunal jusque-là, mais qui ne peuvent entrer. Gérard Gagnon est interrogé par M. Fitzpatrick. Avant même qu'il commence à parler, sa mère se met à pleurer et Gérard en fait autant. Gérard dit qu'il demeurait chez ses parents lorsqu'Aurore est morte. Aurore couchait sur une paillasse à terre dans le coin de la chambre en haut, Marie-Jeanne couchait dans la même chambre. Des fois, elle n'avait pas de paillasse. Cela est arrivé durant 3 ou 4 semaines, Aurore sortait dehors nu-pieds et lavait la vaisselle. C'est l'accusée qui envoyait Aurore nu-pieds sur la neige. Il a vu l'accusée brûler Aurore avec un tisonnier chauffé et la battre avec des harts et un fouet. C'est lui qui a remis les harts au détective Couture.

Le matin de la mort d'Aurore, il a vu qu'Aurore est descendue du grenier en se traînant et en se plaignant qu'elle avait du mal, et elle s'assit sur un banc en bas de l'escalier. L'accusée l'a lavé avec une brosse à plancher. Le témoin ne se rappelle pas autre chose de ce matin-là. Aurore ne mangeait pas à table, parce que sa mère ne voulait pas, excepté lorsqu'il y avait de la visite. Le témoin a vu sa mère attacher Aurore à une table, deux fois; c'était pour la brûler.

-Une fois, dit Gérard, maman m'avait envoyé chercher de la lessive au magasin. Elle en a fait une beurrée et dit à Aurore: "Viens manger du "candy". Comme Aurore ne mangeait pas tout, maman lui a dit: "Si tu ne manges pas tout, je vais te donner la volée". Et Aurore a mangé toute sa beurrée."

Le témoin a aussi déclaré que si Aurore ne mangeait pas à table, c'est parce que Marie-Jeanne ne voulait pas. Il a vu Marie-Jeanne jeter Aurore en bas de son lit, en lui donnant des coups de bâton, quand elle voulait coucher avec. C'est alors qu'Aurore allait coucher dans son coin. Il a vu Marie-Jeanne brûler Aurore avec le tisonnier, sur l'ordre de sa mère. Gérard dit qu'il n'a rien dit de cela à son père, parce que sa mère ne voulait pas.

Source: Correspondant La Presse, "Le martyre d'Aurore Gagnon. Marie-Jeanne Gagnon, soeur de la défunte, déclare que la prévenue tourmentait sa victime avec un tisonnier rougi au feu," La Presse (Montréal), avril 16, 1920.

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