McClintock annonce avoir trouvé le cairn et les corps ( janvier 1860 )

A environ 12 milles du cap Herschel j’ai trouvé un petit cairn érigé par le groupe de Hobson et contenant une note pour moi. Il avait atteint cet endroit, l’endroit le plus reculé de son périple, six jours auparavant, sans avoir vu quoi que ce soit de l’épave, ou des aborigènes, mais il avait trouvé un document – le document tant recherché sur l’expédition Franklin – à la pointe Victory sur la côte N.-O. de la terre du Roi-Guillaume.

Ce document constitue une relique triste et touchante de nos amis perdus et, pour en simplifier le contenu, je noterai séparément la double histoire qui y est si brièvement racontée. En premier, le papier était un des formulaires imprimés généralement fournis aux navires de découverte afin d’être insérés dans des bouteilles puis jetés à la mer dans le but de confirmer les différents courants, des espaces blancs étant laissés pour y inscrire la date et la position; toute personne qui trouve un de ces documents est priée de le faire suivre au Secrétaire de l’Amirauté avec une mention de la date et du lieu; et cette demande est imprimée en six langues. Sur ce document était écrit, apparemment par le lieutenant Gore, ce qui suit:

"28 mai 1847, {Les navires HMS 'Erebus' et 'Terror' ont hiverné dans les glaces à la lat. 70 05' N., long. 98 23' O.

Ayant hiverné en 1846-1847 à l’île Beechey, lat. 74 43' 28" N., long. 91 39' 15" O., après avoir remonté le canal Wellington jusqu’à la lat. 77° et être revenus par le côté ouest de l’île Cornwallis.

"Sir John Franklin, commandant de l’expédition.

"Tous vont bien.

"Un groupe constitué de 2 officiers et 6 hommes a quitté les navires le lundi 24 mai 1847.

"GM. GORE, Lieut.

"CHAS. F. DES VOEUX, premier maître."

Il y a une erreur dans le document ci-haut, soit que "l’Erebus" et le "Terror" ont hiverné à l’île Beechey en 1846-1847 – les dates devraient être 1845-1846; un regard à la date en haut et en bas du document le prouve, mais en ce qui concerne tous les autres points, l’histoire de ce succès magnifique jusqu’à la date de mai 1847 est racontée avec une grande économie de mots.

[...]

En 1846 ils sont partis vers le sud-ouest et sont plus tard arrivés à douze milles de l’extrémité nord de la terre du Roi-Guillaume lorsque leur avancée fut arrêtée par l’arrivée de l’hiver 1846-1847. Cet hiver semble s’être déroulé sans grandes pertes de vie; et lorsqu’au printemps le lieutenant Gore part avec un groupe dans un but spécial, très probablement pour relier le littoral inconnu de la terre du Roi-Guillaume entre la pointe Victory et le cap Herschel, "tous vont bien" à bord de "l’Erebus" et du "Terror" et le valeureux Franklin est toujours commandant.

Hélas! Dans les marges du papier sur lequel le lieutenant Gore a écrit en 1847 ces mots d’espoir et de promesses, une autre main a subséquemment écrit les mots suivants :

"25 avril 1848 – Les navires H.M. 'Terror' et 'Erebus' ont été désertés le 22 avril à 5 lieues N.N.O. d’ici, ayant été enclavés depuis le 12 septembre 1846. Les officiers et les équipages, comprenant 105 âmes, sous le commandement du capitaine F.R.M. Crozier, sont arrivés ici à la lat. 69˚ 37' 42" N., long. 98˚ 41' O. Sir John Franklin est mort le 11 juin 1847; le nombre total de décès de l’expédition à ce jour s’élève à 9 officiers et 15 hommes.

(Signé)

"JAMES FITZJAMES,

"Capitaine HMS Erebus.

(Signé)

"F.R.M. CROZIER,

"Capitaine et officier supérieur.

"et nous partons demain, le 26, vers la grande rivière à poissons [rivière Back]."

Cette information dans la marge a de toute évidence été écrite par le capitaine Fitzjames, sauf la note sur le moment de leur départ et l’endroit où ils allaient, qui a été ajoutée par le capitaine Crozier.

Il y a d’autres renseignements dans la marge au sujet du transfert du document à la position présente (c.-à-d., au site du pilier de sir James Ross) à un endroit situé quatre milles au nord près de la pointe Victory là où il avait été originalement déposé par feu le commandant Gore. Ce petit mot, feu, nous montre que lui aussi était également décédé au cours des douze derniers mois.

Dans un court laps de temps de douze mois combien triste est devenue l’histoire de l’expédition Franklin; comme tout a changé depuis le joyeux "Tous vont bien" de Graham Gore! Au printemps de 1847 nous les retrouvons à 90 milles de la mer connue au large du littoral de l’Amérique; ces hommes qui avaient, en deux saisons, déjà navigué des eaux inexplorées sur une distance de plus de 500 milles devaient se sentir très confiants de pouvoir atteindre un endroit si proche au cours de la saison navigable de 1847! Il en a été décidé autrement. Moins d’un mois après que le lieutenant Gore eut placé le document à la pointe Victory, le bien-aimé chef de l’expédition, sir John Franklin, était mort; et au printemps suivant, le capitaine Crozier, à qui avait incombé le commandement à la terre du Roi-Guillaume, a tenté de sauver ses hommes affamés, 105 âmes au total, d’une mort terrible en retournant aux territoires de la baie d’Hudson par la rivière Back ou la grande rivière à poissons.

Une triste histoire ne fut jamais racontée en si peu de mots. Il y a quelque chose de profondément touchant dans leur extrême simplicité et ils montrent de la manière la plus intense qui soit que les deux chefs de ce groupe en retraite étaient animés par la noblesse du devoir et avaient décidé calmement et résolument d’affronter la terrible éventualité du combat ultime pour la survie plutôt que de périr sans rien faire à bord de leurs navires; car nous savons tous que les provisions de "l’Erebus" et du "Terror" auraient été épuisées en juillet 1848.

Une autre erreur existe dans la seconde partie du document rédigé par Fitzjames. Le compte initial de l’expédition était de 138 âmes et le document indique que la perte de vies était de 9 officiers et 15 hommes, il restait donc 114 officiers et hommes; mais il indique aussi que seuls 105 se sont retrouvés sous le commandement du capitaine Crozier, ce qui fait que 9 individus manquent à l’appel.

La note du lieutenant Hobson m’informe qu’il a trouvé de grandes quantités de vêtements et d’articles de toutes sortes éparpillés près du cairn, comme si ces hommes, conscients qu’ils battaient en retraite pour sauver leurs vies, y avaient abandonné tout ce qu’ils considéraient comme étant superflu.

[...]

A partir du cap Crozier, le littoral tourne brusquement vers l’est; et tôt au matin du 30 mai nous avons monté le campement près d’une grande chaloupe – une autre triste relique qu’Hobson avait trouvée et examinée quelques jours auparavant, comme m’en a informé la note qu’il m’y avait laissée; mais il n’a pas réussi à découvrir des documents, des carnets de bord, des calepins ou des notes de quelque nature que ce soit.

Nous avons trouvé une vaste quantité de haillons éparpillés sur le sol et c’est ce que nous avons d’abord étudié. Pas un seul article ne portait le nom de son ancien propriétaire. La chaloupe a été vidée et balayée avec soin afin que rien ne nous échappe. Puis la neige a été déblayée aux alentours, mais absolument rien ne fut trouvé.

Cette chaloupe mesure 28 pieds de long et 7 pieds 3 pouces de large; elle a été bâtie pour sa légèreté et un faible tirant d’eau et de toute évidence équipée avec grand soin pour remonter la grande rivière à poissons [rivière Back]; elle n’avait ni aviron ni gouvernail qui avaient été remplacés par des pagaies, et comme nous avons trouvé un gros morceau de toile légère, connu comme no 8, ainsi qu’une petite poulie pour y manœuvrer une écoute, je suppose qu’elle avait une voile. Un toit en toile, incliné pour protéger de la pluie, faisait aussi partie de son équipement. Elle avait été munie d’une bâche en tissu de neuf pouces de haut rabattue tout autour du plat-bord et soutenue par 24 étançons de fer placés de façon à aussi y placer les tolets. À proximité se trouvaient 50 brasses de lignes pour sonder la profondeur des eaux ainsi qu’un grappin à glace. Elle semblait avoir originalement été "bordée à franc-bord"; mais afin de réduire le poids, les sept préceintes extérieures avaient été remplacées par des planches de pin très minces et installées "à clin".

[...]

Mais tout cela ne fut observé que plus tard; il y avait autre chose dans la chaloupe qui nous clouait sur place. Il s’agissait de parties de deux squelettes humains. Un était celui d’une jeune personne mince; l’autre d’un homme d’âge moyen, de forte stature. Le premier squelette a été trouvé à l’avant de la chaloupe mais avait été trop malmené pour permettre à Hobson de juger si la victime était morte à cet endroit; de gros et puissants animaux, probablement des loups, avaient détruit une grande partie de ce squelette, qui était peut-être celui d’un officier. Tout près nous avons trouvé des fragments d’une paire de chaussons ouvrés, dont je donne le motif car cela pourrait permettre de les identifier. Il y a des lignes blanches avec une marge noire; les espaces blancs, rouges et jaunes. Initialement ils étaient d’une longueur de 11 pouces, doublés de cuir de veau avec le pelage, et les bordures reliées par un ruban de soie rouge. À côté de ces chaussons, il y avait une paire de demi-bottes de chasse de petite taille. L’autre squelette était quelque peu en meilleur état, *, et était enveloppé de vêtements et de fourrures; il était étendu en travers de la chaloupe sous les bancs de rameurs à l’arrière. Tout près nous avons trouvé cinq montres; et il y avait deux fusils à double canon – un canon de chaque chargé et armé – la bouche vers le haut accotée sur le bord de la chaloupe. Un profond intérêt a animé l’examen minutieux de ces tristes reliques et chaque fragment de vêtement a été retourné fébrilement à la recherche de poches, de carnets de notes, de journaux de bord ou même de noms. Nous avons trouvé cinq ou six petits livres, tous des œuvres bibliques ou de dévotion, à l’exception de "Vicar of Wakefield". Un petit livre "Christian Melodies", portait une inscription sur la page titre du donateur à G.G. (Graham Gore?). Une petite Bible contenait de nombreuses notes à la marge et des passages entiers étaient soulignés. En plus de ces livres, nous avons trouvé les couvertures d’un Nouveau Testament et d’un livre de prières.

Parmi une quantité incroyable de vêtements se trouvaient sept ou huit paires de bottes de toutes sortes – des bottes d’hiver en étoffe, des bottes de mer, des brodequins de travail et des souliers de marche. J’ai noté qu’il y avait des pochettes de soie – noires, blanches et avec des motifs – des serviettes, du savon, une éponge, une brosse à dents et des peignes; un fourreau à fusil mackintosh doublé d’étoffe noire avec la marque A12 peinte à l’extérieur.

[...]

Les seules provisions que nous avons trouvées étaient du thé et du chocolat; il restait peu de thé mais il y avait environ 40 livres de chocolat. Ces articles ne pouvaient seuls les garder en vie dans un tel climat et nous n’avons trouvé aucun biscuit ni aucune viande de quelque sorte.

[...]

J’ai été étonné de constater que le traîneau était en direction NE, exactement vers la prochaine pointe de terre vers laquelle nous nous dirigions nous-mêmes!

La position de cette chaloupe abandonnée est à environ 50 milles – en déplacement par traîneau – de la pointe Victory et donc à 65 milles de la position des navires; aussi elle est à 70 milles du squelette du steward et à 150 milles de l’île de Montréal; de plus, elle est dans les profondeurs d’une large baie où, en traversant 10 ou 12 milles de terres très basses, il est possible de sauver une grande distance, la route par le littoral étant d’environ 40 milles.

Après y avoir réfléchi, je crois personnellement que la chaloupe retournait vers les navires; je ne peux comprendre que deux hommes y aient été laissés qu’en supposant que le groupe était incapable de tirer la chaloupe plus loin et que ces deux hommes, incapables de suivre le rythme de leurs camarades de bord, ont conséquemment été laissés avec les provisions qui pouvaient survenir à leurs besoins jusqu’au retour des autres avec des provisions fraîches.

Que le groupe revenant sur ses pas ait eu l’intention d’attendre une autre saison dans les navires ou de suivre la trace de la grande rivière à poissons [rivière Back] est maintenant matière à conjecture. Il semble hautement probable qu’ils aient eu l’intention de revenir à la chaloupe non seulement à cause des deux hommes qu’ils avaient laissés en charge, mais aussi pour reprendre le chocolat, les cinq montres et les nombreux autres articles qu’ils n’auraient jamais abandonnés autrement.

Les mêmes raisons qui pourraient expliquer le retour de ce détachement du groupe principal serviront aussi pour expliquer qu’ils ne soient pas retournés à leur chaloupe. Dans les deux cas, ils semblent avoir grandement surévalué leurs forces et la distance qu’ils pouvaient parcourir en un temps donné.

Selon cette façon de voir l’affaire, nous pouvons comprendre pourquoi leurs provisions auraient été insuffisantes pour la distance qu’ils devaient parcourir; et pourquoi ils auraient été obligés de renvoyer des hommes aux navires pour en obtenir d’autres, y laissant toutes les provisions dont le détachement pouvait se passer. Que tous ou un seul du reste de ce détachement se soient jamais rendus aux navires, cela est incertain; tout ce que nous savons est qu’ils ne sont pas revenus à la chaloupe ce qui explique l’absence d’un plus grand nombre de squelettes dans les environs; ainsi que le rapport des Esquimaux selon lequel il n’y avait personne en vie sur le navire lorsqu’il a dérivé sur la rive et qu’ils n’y ont trouvé qu’un seul corps.

* Aucune partie du crâne des deux squelettes n’a été trouvée à la seule exception de la mâchoire inférieure de chacun.

Illustrations des sources (17)

À propos de ce document

  • Auteur: Francis Leopold McClintock
  • Publication: The voyage of the 'Fox' in the Arctic Seas, a narrative of the discovery of the fate of Sir John Franklin and his companions
  • Lieu: Londres
  • Date: janvier 1860
  • Page(s): 255-271
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