Le passage du Nord-Ouest 1940-1942 et 1944 ( 1954 )

Ce que j’aimerais vous dire maintenant concerne nos deux traversées du Nord-Ouest, les hivers et certaines personnes que nous avons rencontrées. Après avoir chargé notre petit vaisseau à pleine capacité de carburant et de provisions pour nos besoins et aussi pour ceux de nos détachements en Arctique de l’Ouest, nous avons quitté Vancouver à 2 h 50 au matin du 23 juin 1940 nous dirigeant vers le nord par le passage intérieur jusqu’à l’extrémité nord de l’île de Vancouver.

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Un soir à notre arrivée à un de ces villages de neige près de la baie Lord Mayor nous avons entendu un grand vacarme provenant de la plus grande maison. Après avoir attaché nos chiens nous avons rampé dans le passage menant à l’intérieur et à notre grande surprise nous y avons trouvé un homme de grande stature vêtu d’une immense paire de pantalons en ours blanc et d’un parka blanc qui jouait du concertina debout au milieu de la maison. Tout autour se tenaient debout ou accroupis 40 hommes, femmes et enfants esquimaux chantant “Shall We Gather at the River” [Irons-nous ensemble à la rivière] dans leur langue. Une fois passée la surprise mutuelle ils ont vu que nous étions des blancs. Le grand homme nous a serré la main et s’est présenté comme le chanoine Turner, le missionnaire anglican de Pond Inlet sur l’île de Baffin. Il était arrivé la veille de l’île de Baffin pour sa visite annuelle. Après avoir serré les mains de chaque personne, incluant les bébés sur le dos de leurs mères où ils étaient portés pour les garder au chaud, ils ont continué le service, en grande partie chantant, et nous y avons pris part. Cela nous a occupés plus de cinq heures jusqu’à ce qu’une grande partie du toit de neige s’effondre à cause de la chaleur dégagée par un si grand nombre de personnes. Comme le temps était doux, cela ne valait pas la peine de construire un nouveau toit dans la noirceur. Nous avons plutôt commencé à manger, tout le monde contribuant au festin. Quelques Esquimaux ont apporté des brassées de poisson gelé et le chanoine Turner a fait une grande chaudrée de flocons d’avoine. Nous avons offert du thé, du sucre et nos poêles Primus. Avant que le repas soit terminé et toutes les nouvelles échangées avec le chanoine Turner, il était déjà trois heures du matin. Le plus de personnes possible se sont étendues sur la plateforme de couchage pour prendre un peu de repos et le chanoine Turner, le caporal Hunt et moi-même avons été placés au centre. De chaque côté de nous dormait une famille esquimaude entière incluant les enfants. Entre les pleurs des poupons et le ronflement des adultes, nous n’avons pas beaucoup dormi avant qu’ils ne commencent à se lever. Le caporal Hunt et moi nous étions à peine endormis lorsque nous avons été réveillés par les notes du concertina du chanoine Turner. Il était debout au milieu de la maison de neige et célébrait le service du matin avec plusieurs Esquimaux chantant debout autour de lui. Les chants des Esquimaux nous ont bercés et nous ne nous sommes éveillés qu’au moment où le chanoine Turner nous a mis un bol de porridge dans les mains. Il était prêt à entreprendre son voyage de retour. A cet endroit, le passage du Nord-Ouest était de nouveau complété. Le chanoine Turner était arrivé d’Angleterre dans un port de l’est du Canada, arrivant à l’île de Baffin sur le vapeur "Nascopie" de la Compagnie de la Baie d'Hudson et avait traversé jusqu’à Boothia avec des chiens. Nous étions arrivés de Vancouver du côté ouest de Boothia, puis en avions fait le tour avec des chiens. Notre rencontre avec le chanoine Turner était une pure coïncidence, aucun de nous n’étant au courant des déplacements de l’autre.

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Le voyage de retour de 1944

Pendant que nous étions à Halifax à l’hiver 1943-1944, nous avons de nouveau reçu la directive de naviguer par le passage du Nord-Ouest. Cette fois nous devions utiliser la route du détroit de Lancaster. Durant notre trajet nous devions nous arrêter à Frobisher Bay et apporter des marchandises à notre détachement de Pond Inlet. Au cours de l’hiver nous avons fait faire plusieurs altérations à nos quartiers afin de les rendre plus confortables et nous avons fait installer un gros moteur diésel. Nous avons quitté le port d’Halifax le 22 juillet. Le lendemain nous avons constaté que le pont près du tuyau d’échappement était très chaud et que du brai de pétrole bouillant s’en échappait; nous avons donc dû nous rendre à Sydney, N.-E., pour faire réparer le tuyau d’échappement. Cela a pris trois jours et ce n’est que le 26 juillet que nous avons finalement pris la route vers le nord. Nous nous sommes arrêtés à Curling Cove, Terre-Neuve, pour remplir nos barils de pétrole car c’était le dernier endroit de notre voyage où nous pouvions en obtenir. Le 29 juillet nous avons passé le détroit de Belle-Isle. A partir de là, les icebergs étaient plus nombreux et notre progression a été grandement entravée par la brume le long de la côte du Labrador. Nous ne pouvions faire aucune observation et le 2 août nous avons brièvement aperçu le cap Chidley. Peu après nous avons obtenu un relèvement radio de l’île Resolution. Le temps était toujours très brumeux et des glaces à la dérive ont fait leur apparition. Comme nous ne pouvions nous permettre de perdre plus de temps nous avons décidé de ne pas aller à Frobisher Bay et nous avons continué vers le nord. Le 4 août nous étions rendus à l’île Leopold sur le côté nord du détroit de Cumberland. En procédant vers le cap Walshingham, la glace s’est alourdie et nous ne pouvions plus avancer. J’ai donc décidé d’aller vers la côte du Groenland que nous avons vue le 6 août. De ce côté le temps était beau et clair et l’eau était libre à part quelques icebergs gigantesques. Au large de Banc du Flétan les conditions semblaient bonnes vers l’ouest et nous avons retraversé vers l’île de Baffin et avons vu la terre près de la rivière Clyde.

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Nous avons rapidement descendu la mer de Béring et nous sommes arrivés en vue de l’île Akutan le 1er octobre. Tôt ce matin-là nos vieux ennemis sont revenus – la brume et le mauvais temps – mais nous avons finalement atteint le port d’Akutan et, après nous être identifiés aux officiers de marine américains, nous avons obtenu la permission de mouiller le long du quai de ravitaillement. Le commandant Lee et son personnel sont montés à bord et nous ont accueillis chaleureusement. En accord avec les règles de l’hospitalité américaine, tout comme lors de notre passage précédent, les officiers et les marins nous ont invités à terre, nous ont donné plein accès à leur mess et nous avons eu droit à un film et un dîner. Ce qui nous a fait le plus plaisir, cependant, a été de pouvoir prendre un bain. J’avais dû dormir avec mes vêtements depuis notre départ de Sydney, N.-E. C’était donc un grand plaisir de pouvoir relaxer pour quelques jours. Nous avons été les invités de nos bons voisins dans ce havre de paix jusqu’au 4 octobre puis nous avons repris la mer pour le voyage de retour. Après un passage sans incident par le Pacifique, le "St. Roch" a pénétré le passage intérieur et a jeté l’ancre pour la nuit dans la baie de Shushartie le 12 octobre. A 6 h du soir le 16 octobre nous sommes arrivés et nous avons mouillé au quai Evans-Coleman-Evans, à Vancouver. Notre passage du Nord-Ouest était terminé. En 86 jours, nous avions parcouru 7295 milles. Pendant ce temps nous n’avions utilisé la vapeur que pendant 1031 heures et 34 minutes.

Illustrations des sources (5)

À propos de ce document

  • Auteur: Henry Larsen
  • Publication: The North-West Passage 1940-1942 and 1944
  • Publié par: City of Vancouver Archives
  • Lieu: Vancouver, Canada
  • Date: 1954
  • Page(s): 10-14
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