Adlekok et Ogzenekjenwoek parlent à Schwatka de cairns, de reliques, de chaloupe, de dépouilles; l’amiral Richards réagit aux rumeurs de cannibalisme (1882)

Le 4 juin au soir nos explorateurs ont rencontré un jeune homme nommé Adlekok qui, l’été précédent, avait trouvé un cairn érigé par des hommes blancs près de la rivière Pfeffer, lequel n’avait jamais été vu par d’autres Inuits. A proximité se trouvaient trois tombes et un campement où il a trouvé une paire de "lunettes de neige" en fil de fer que nos voyageurs ont achetée. Sur la foi de ce renseignement, le lieutenant Schwatka et M. Gilder ont pris un traîneau léger et, avec Toolooah comme pilote et Adlekok comme guide, ils se sont rapidement rendus à cet endroit. Ils ont apporté des rations pour une journée au cas où ils seraient retenus pour la nuit; ils sont partis avec un vent de face et une tempête qui menaçait et obstruait tout sauf ce qui se trouvait dans le voisinage immédiat du traîneau. Cependant leur guide les a conduits à travers un désert de glace vierge sur une distance de plus de vingt-cinq milles sans dévier de la ligne droite même sans soleil ni aucun point de repère pour le guider. Droit devant, droit devant, avec l’instinct infaillible du limier jusqu’à ce qu’ils rejoignent la terre sur la rive occidentale de la rivière Pfeffer. En arrivant au cairn ils ont immédiatement senti que c’était sans doute ce qu’Adlekok avait appelé "un cairn d’homme blanc". Avant de le démonter, ils l’ont examiné avec soin et y ont trouvé l’inscription suivante gravée sur une pierre d’argile avec la pointe d’un instrument pointu :—

H MAY XII 1869[H XII MAI 1869]

et sur le côté opposé :

ETERNAL HONOUR TO THE DISCOVERERS OF[HONNEUR ÉTERNEL AUX DÉCOUVREURS]

THE NORTH WE...[DU NORD OUE…]

Ils ont alors su que c’était là le cairn que leur compatriote, le capitaine Hall, avait érigé sur les ossements de deux des hommes de Franklin et qu’il s’agissait des dépouilles qu’il disait avoir trouvées à cet endroit.

Ils ont obtenu des détails intéressants mais de nature affligeante de la mère d’un autochtone et de celui-ci nommé Ogzenekjenwoek, un aruketko ou "guérisseur" qui avait environ 12 ans lorsqu’il a vu pour la première fois "l’endroit de la chaloupe".

Ils n’auraient rencontré aucun des hommes de Franklin lorsqu’ils étaient vivants, mais ils avaient vu quatre squelettes sur le continent et deux sur une île adjacente – une île au sud à la long. 95° O. Il n’y avait aucune tombe à ces deux endroits. Ils ont trouvé à l’endroit de la chaloupe un boîtier en fer-blanc contenant des livres imprimés mesurant chacun environ deux pieds de long et un pied de large; parmi ces objets se trouvait probablement l’aiguille d’un compas ou d’un autre instrument magnétique, car ils ont dit que lorsque l'aiguille a touché le fer, elle y est restée collée. A l’extérieur de la chaloupe il y avait des crânes; ils ne se souvenaient pas du nombre exact, mais plus de quatre. Ils ont aussi trouvé de nombreux ossements de jambes et de bras qui semblaient avoir été sciés. A l’intérieur de la chaloupe se trouvait une boîte remplie d’ossements, la boîte étant à peu près de la même grosseur que celle qui contenait les livres; d’après l’apparence des ossements, les Inuits avaient conclu "que les hommes blancs s’étaient mangés les uns les autres". Le peu de chair qui restait sur les os était très fraîche; un corps en était entièrement couvert. Les cheveux étaient pâles et le corps semblait être celui d’un homme de grande stature. Ogzenekjenwoek a vu plusieurs "lunettes de neige" en fil de fer et près du corps qui avait de la chair il y avait une paire de lunettes en or. Il avait découvert plus d’une ou deux paires de telles lunettes mais avait oublié combien. Lorsqu’on lui a demandé depuis combien de temps les corps semblaient être morts, il a répondu qu’ils étaient probablement morts l’hiver précédent.

Dans la chaloupe il avait vu de la toile et quatre bâtons (une tente ou une voile) et plusieurs montres à fonds transparents, certaines en or mais la plupart en argent. Elles avaient été données aux enfants comme jouets mais avaient été brisées et perdues. Un corps, celui avec la chair, portait une chaîne en or attachée à des boucles d’oreilles en or et une montre de chasse en or attachée à la chaîne et qui pendait à la hauteur de la taille. L’Esquimau a ajouté que lorsqu’il avait tiré sur la chaîne, la tête s’était élevée comme si elle était tirée par les oreilles. Ce corps avait aussi une bague en or sur l’annulaire de la main droite. En référence à cette affirmation, le chroniqueur américain de l’expédition de Schwatka a émis le commentaire que la chaîne aurait pu se prendre aux oreilles, ou, aussi ridicule que cela puisse paraître, il y avait peut-être un excentrique dans le groupe qui portait sa montre de cette façon; et si tel était le cas, cela permettrait sans aucun doute de l’identifier. Mais nous pensons qu’aucune identification de ce type n’a été faite.

L’Esquimau avait été amené à penser que les survivants de l’expédition Franklin en étaient arrivés au cannibalisme parce que les os avaient été coupés avec un couteau ou une scie. Une grosse scie et une petite scie ont été trouvées dans la chaloupe; et une grosse boîte rouge de tabac et quelques pipes. Aucun cairn n’a été trouvé à cet endroit. Les os, a-t-il dit, étaient aujourd’hui recouverts de sable et d’algues, car ils se trouvaient à hauteur de la marée haute. *

Il ne semble pas improbable que les squelettes trouvés à cet endroit aient été les dépouilles de certains membres du groupe qui avaient été vus par Ahlangyah [femme inuite] et ses amis à la baie de Washington. Les montres en or prouvent qu’il y avait des officiers dans le groupe. Les cinq hommes qui avaient une tente sur la rive étaient peut-être des officiers. Nous pouvons présumer que les livres trouvés dans la boîte en fer-blanc étaient les documents les plus importants de l’expédition et sous la responsabilité des officiers les plus hauts gradés parmi les survivants. Il est peu probable que des hommes dans une situation si désastreuse et obligés de traîner leurs possessions à pied se seraient encombrés de lectures variées. A en juger par les reliques obtenues, la chaloupe devait être lourde et à fond en cuivre, car la plupart des marmites trouvées chez les Netchelliks étaient en feuille de cuivre et provenaient, ont-ils dit, de l’une ou l’autre des deux chaloupes dans la baie d’Erebus. Mais comme ils en avaient absolument besoin, les pauvres naufragés ne pouvaient les abandonner.

*Dans une lettre au Times (20 octobre 1880), l’amiral Richards a écrit que l’affirmation selon laquelle les hommes de Franklin s’étaient résolus au cannibalisme en dernière extrémité était sans "un iota de fondement"; et nous verrons que les auteurs américains n’apportent aucune explication valable en appui à cela. L’Esquimau a basé sa conviction sur le fait que certains membres avaient été coupés comme si cela avait été fait avec une scie. En supposant que c’était le cas, les autochtones avaient probablement procédé à l’opération eux-mêmes. "La relation entre les autochtones et les hommes de Franklin qu’ils auraient rencontrés soulève de graves soupçons qui sont renforcés par diverses circonstances relatées au cours du voyage de Schwatka. Certainement ce dernier et son groupe ne semblent pas avoir accordé une grande confiance aux tribus rencontrées près de la grande rivière à poissons [rivière Back]; et s’il s’est passé quelque chose de louche envers les hommes des navires de Franklin, cela aurait manifestement été dans l’intérêt des autochtones de détourner les soupçons de leurs personnes par quelque moyen que ce soit. "L’amiral Richards continue en faisant remarquer que la plupart des membres des équipages de l’Erebus et du Terror, au moment d’abandonner leurs navires, souffraient d’épuisement et de scorbut et qu’ils étaient au bord de la mort depuis des mois. Ils avaient entrepris un périple devant lequel auraient reculé des hommes en bonne santé dans les "meilleures circonstances possible car il était sans espoir. En effet cet espoir était mince. La plupart d’entre eux sont probablement morts d’épuisement et de maladie bien avant d’avoir franchi une centaine de milles loin de leurs navires et se sont trouvés ensevelis sous la glace qui aura fondu en été ou sur la plage de la terre du Roi-Guillaume. On peut présumer que seule une demi-douzaine de membres des deux équipages est parvenue à l’embouchure de la grande rivière à poissons. Aucun besoin d’appeler la famine à notre secours. Je suis convaincu que la très grande majorité de ces hommes a péri bien avant que les provisions n’aient été consommées. La seule chose qui aurait pu ramener ces hommes à la santé aurait été des soins et des traitements dans le confort d’un hôpital et non pas de manger de la chair humaine. Cela me semble si monstrueux que je ne peux même pas comprendre comment quelqu’un a pu suggérer une telle chose. La mort n’aurait pas été terrifiante pour ces hommes. On dira que je ne parle ici que de probabilités, mais je me soumettrai volontiers au jugement de tout officier ayant servi dans les régions arctiques quant à la validité de mon opinion."

Illustrations des sources (2)

À propos de ce document

  • Auteur: Frederick Schwatka
  • Publication: The Search for Franklin: A Narrative of the American Expedition under Lieutenant Schwatka, 1878 to 1880
  • Publié par: T. Nelson et fils
  • Lieu: Edinburgh and New York
  • Date: 1882
  • Page(s): 40-41
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