Lettre de sir John Franklin à sir William Parry ( 10 juillet 1845 )

Ile Whale Fish

10 juillet 1845

Mon cher Parry,

Ayant eu le plaisir de voir le dernier tonneau de provisions se faire hisser du navire de ravitaillement dans l’Erebus je suis descendu vous écrire. Nous avons maintenant chargé tout ce qu’il faut pour trois ans – et bien sûr le bateau s’enfonce profondément – et nous aurons un tirant de dix-sept pieds lorsque l’ancre et les chaloupes seront à bord. Cela nous a pris un mois pour arriver ici à partir des Orcades. Le matin du 4 nous avons pris votre ancien mouillage et peu de temps après nous avons amarré le navire de ravitaillement à couple afin de le vider le plus rapidement possible. La chaloupe a amené à terre les hommes de la magnétique avec leurs instruments et les autres observateurs. Je débarque à l’endroit où vous étiez, vous pouvez tous les imaginer à l’œuvre, et je suis heureux de vous dire que leurs résultats donnent les lat et long de leurs positions à quelques secondes de celles que vous leur aviez attribuées.

Les principaux habitants de Disco sont absents; j’ai donc dû obtenir le peu de renseignements disponibles sur les glaces de la rive nord d’un charpentier danois en charge des Esquimaux à ce poste. Il me dit que l’hiver fut rude et qu’ils ont eu de forts vents du nord-o mais que le printemps n’était pas plus tardif qu’à l’habitude et que les glaces se sont brisées ici à la fin avril. Il semble aussi avoir de l'information des côtes nordiques aux environs des îles des Femmes et il pense que les glaces s’y étaient brisées à la fin mai ou au début juin. D’après ce qu’il a entendu, les baleiniers ont pris du poisson à cet endroit. A partir de ces faits, il pense que les glaces ne devraient pas nous causer trop d’obstacles pour nous rendre au détroit de Lancaster. Espérons que ce soient de bonnes hypothèses. Quoi qu’il en soit nous espérons les tester dans quelques jours. Le temps s’est montré des plus cléments ici pour toutes nos manœuvres. Cela doit être un bon signe pour l’ouverture des glaces et nous sommes tous heureux à l’idée d’arriver bien assez tôt pour profiter de toutes les ouvertures à l’ouest du détroit de Barrows [sic].

Pendant la traversée depuis l’Angleterre j’ai relu avec attention des portions de vos voyages ainsi que quelques notes de Richardson et les miennes qui avaient été prises pendant l’expédition Back, des conclusions faites à partir des observations à la pointe Turnagain [pointe du retour] et près de cet endroit. J’ai tendance à penser à partir de ces notes et des observations de Dease et Simpson qu’il y a de grandes étendues de terre entre les terres de Wollaston et de Banks et j’espère les trouver séparées en îles; j’espère aussi que nous pourrons entrer par un canal qui les traverse.

Un des arguments qui pour moi pèse en faveur de l’existence de terres entre ces parallèles et qui ne seraient pas si éloignées est que vous avez déjà tué un bœuf musqué et que vous en avez vu d’autres sur l’île Melville. Je pense que ces animaux ne peuvent nager et je pense qu’ils traverseraient de grands canaux glacés pour trouver de la nourriture. Les rennes peuvent faire les deux, ils nagent très bien et sur la glace leur vitesse est tellement plus rapide que celle du bœuf musqué qu’ils peuvent facilement passer d’une île à l’autre. J’ai aussi réfléchi aux traces d’Esquimaux que vous aviez trouvées sur l’île Melville et sur d’autres rives au nord du détroit de Barrows [sic]. Ces hommes sont-ils venus de la crique du Régent où Ross sur le Victory a trouvé des Esquimaux? Si je ne me trompe il les a reconnus comme des alliés, ou à tout le moins reliés assez intimement à ceux que vous aviez vus sur l’île Winter et près des hauts-fonds du détroit Fury; ou ces traces ont-elles été laissées par des Esquimaux vivant à l’ouest de Boothia?

Si par ces derniers, en toute probabilité ils y viennent le long des côtes ou par des chaînes d’îles dont je me plais à imaginer l’existence; je pense que nous découvrirons que le côté ouest de Boothia existe de la pointe Felix découverte par James Ross jusqu’au cap Walker.

Je vous communique mes idées sans réserves, car je sais que vous les recevrez avec bienveillance même si elles diffèrent des vôtres et comme étant les opinions d’une personne comparativement inexpérimentée quant à ce qui peut être déduit de réalités dans ces hautes latitudes si loin du continent américain.

Cela vous ferait chaud au cœur de voir la diligence avec laquelle les officiers et les hommes de deux navires travaillent et la façon amicale dont nous joignons nos efforts. Sachant à quel point Crozier était un excellent professeur et compagnon de travail et le sera pour Fitz-James, j’ai donné à ce dernier la responsabilité des observations magnétiques de l’Erebus et il est très assidu dans ces tâches. J’ai aussi tenté d’encourager chacun des officiers à prendre la responsabilité d’une des disciplines en espérant que chacun en retirera des avantages substantiels; ainsi ma charge de travail en ce moment semble porter plus sur la formation et la supervision de ces messieurs que sur l'accomplissement du travail lui-même. Ainsi par exemple travaillant aux tables dans ma cabine se trouvent un lieutenant qui construit le plan du levé qu’il a fait des îles auxquelles la présente tâche se compare et monsieur Goodsir l’assistant topographe/naturaliste avec ses squelettes microscopiques qui étudie minutieusement crustacés et mollusques qu’il décrit pendant que les couleurs sont encore fraîches.

Il sait déterrer les espèces et il a trouvé plusieurs créatures rares et certaines inconnues, avec des noms trop longs pour que je les écrive. De l’autre côté de sa table se trouvent plusieurs [bivalves] décoquillées par le travail adroit du chirurgien qui est exercé avec de tels sujets. Autour du pont de la cabine il y a les provisions de pommes de terre dans des boîtes de conserve en fer-blanc. Avec cette description vous pouvez m’imaginer en ce moment et, en tournant la tête, je vous vois comme si vous étiez ici.

N’y avait-il pas ici une grande station avec des Esquimaux sous un commandant? Le bureau est en ruines et l’établissement réduit à 130 Esquimaux, dont seulement 30 sont ici en ce moment, les autres étant partis chasser le phoque. A en juger par leur façon d’être, leurs vêtements et leur apparence plus propre que les autres Esquimaux que j'ai vus, je dirais que le gouv. danois en prend bien soin.

Je dois vous remercier pour les livres de signaux qui sont si complets que je n’ai eu qu’à y ajouter certains nos. en lien avec la vapeur avant de les envoyer à Crozier pour qu’il en fasse une copie. Nous les utiliserons après avoir quitté cet endroit.

Mon intention était d’assembler le vapeur ici pour m'assurer que tout était correct mais nous ne pouvions prendre le temps ou l'espace en ce moment. Nous sommes cependant assurés que tout est en ordre et entretenu par le mécanicien et c’est mon intention de saisir la première occasion de sortir le vapeur et de m’assurer que tout soit prêt pour utilisation immédiate dès notre arrivée au détroit de Lancaster. Notre mécanicien M. Gregory est un homme bien et utile et prêt à faire tout ce qui lui est demandé.

Encore une fois mon cher Parry je rappelle mes chères épouse et fille à vos bons souvenirs. Je suis certain qu’elle a le sentiment de pouvoir compter sur votre amitié pour obtenir conseil ou réconfort au besoin. Elle sera toujours heureuse de connaître votre opinion sur l’endroit où nous pourrions être et ce qui devrait nous occuper. J’ai toute confiance dans la fermeté de son esprit et dans le fait qu’elle tentera de réprimer toute peur irraisonnée aussi longtemps que le temps ne sera pas arrivé où elle pense nous voir revenir. Mais j’ai peur que si nous ne devions pas revenir à ce moment elle pourrait devenir très anxieuse.

C’est là que j'implore plus spécialement mes amis de lui apporter réconfort en lui faisant remarquer que sans motif pour douter de notre sécurité il peut y avoir des raisons pour ce retard telles que le souhait d'explorer chaque endroit prometteur aussi longtemps que la santé de l’équipage et l’état des provisions le justifieront.

Je sais mon cher Parry qu’autant mon épouse que ma fille se joindront de tout cœur à mes nombreux amis pour prier avec ferveur afin que le Tout-Puissant nous guide et nous soutienne - et que les bénédictions du Saint-Esprit soient avec nous.

Nos prières je l’espère seront offertes avec une égale ferveur pour que ces bénédictions inestimables leur soient également octroyées et à tous ceux qui aiment le Seigneur Jésus en toute sincérité et vérité.

Je prie humblement que Dieu vous comble de bénédictions ainsi que lady Parry et votre famille.

Je demeure affectueusement,

votre ami

John Franklin

Auriez-vous l’amabilité de répéter tout cela à Beaufort et peut-être aurez-vous la bonté de lui laisser voir les portions de cette lettre qui pourraient l’intéresser. Je lui écrirais volontiers si je pouvais ajouter quoi que ce soit sur le navire et nos espoirs à ce que je vous ai dit ou si je pouvais lui donner d'autres preuves, que vous aurez la bonté de lui transmettre, de mes salutations les plus sincères et affectionnées pour lui ainsi que mon respect à Mme Beaufort et à sa famille. Que le Seigneur les bénisse et les préserve tous!

J’ai demandé à l’agent du navire de ravitaillement, le lt Griffith[s] de venir vous voir. Il est intelligent et j’en ai été très satisfait. Il désire obtenir sa promotion ou une commission de lieutenant, bien que j’aie peur que le travail accompli en cette occasion n’ajoute rien à ses prétentions; j’aimerais tout de même dire un bon mot en sa faveur. Est-ce que vous pourriez aller jusqu’à dire cela à l’Amirauté?

Vous serez heureux d’apprendre que je n’ai aucunement souffert de la toux depuis que j’ai pris la mer et que ma santé n'a jamais été aussi bonne.

Illustrations des sources (10)

À propos de ce document

  • Auteur: Sir John Franklin
  • Destinataire: William Parry
  • Archive: Scott Polar Research Institute
  • Collection: GB 15 Sir John Franklin/Correspondence
  • Numéro de référence: MS 348/18/7
  • Date: 10 juillet 1845
  • Page(s): 1-10
  • Notes: De l’île Whale Fish. Il discute du voyage depuis l’Angleterre et avance des hypothèses sur l’existence d’îles entre les îles Wollaston et Banks en décrivant la route qu’il pourrait prendre avec le HMS Erebus et le HMS Terror
Sunken ship