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Les Noirs à Montréal, 1628-1986 : Essai de démographie urbaine. Dorothy W. Williams, 1998.

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[...] On rapporte que la mentalité et les mœurs religieuses des propriétaires d'esclaves de la Nouvelle-France diffèrent grandement de celles qu'on trouve dans les colonies britanniques du Sud. Les rares historiens canadiens faisant mention de l'esclavage en Nouvelle-France le décrivent sous un jour romantique, voire idéaliste.

[...]

L'histoire mentionne le cas de Marie Joseph Angélique qui, dans sa tentative de fuite, incendia près de la moitié de Montréal, en 1734. Quarante-six édifices, y compris le couvent, l'église et l'hôpital, furent détruits. Malgré ce désastre, on ne fait aucune mention de l'événement dans les publications récentes sur l'histoire de Montréal. Est-ce parce que les premiers historiens de Montréal ont cru que la destruction de près de la moitié de la ville n'eut aucune conséquence pour son développement économique et social? Ou est-ce là un autre exemple du silence entourant l'esclavage ou la présence des Noirs très tôt dans l'île de Montréal? Serait-ce parce que les gestes d'une esclave récalcitrante ne méritent pas qu'on s'y attarde? Le terrible châtiment qu'a subi Angélique témoigne de l'avis contraire des citoyens montréalais.

Le jour de son exécution, Angélique fut d'abord soumise à la torture jusqu'à ce qu'elle confesse son crime.

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Ensuite, elle fut promenée dans les rues dans une charrette à ordures... On avait placé une torche allumée dans sa main. Devant la grande porte de l'église paroissiale, à la place d'Armes, on la fit s'agenouiller, puis on lui trancha la main. On la fit ensuite monter de nouveau dans la charrette à ordures qui l'amena au lieu de son exécution, où elle fut pendue. Son corps fut brûlé sur le bûcher et ses cendres dispersées au vent.

[...]

En réalité, l'« indulgence » dont font preuve les propriétaires envers leurs esclaves noirs en Nouvelle-France résulte de facteurs économiques et sociaux plutôt que d'une attitude humanitaire. Les panis ou esclaves indiens, forment une main-d'œuvre bon marché pour les travaux agricoles et les tâches manuelles lourdes. Les esclaves africains, pour leur part, occupent un rang supérieur en tant que main-d'œuvre dans les villes. Ce sont les esclaves africains que l'on retrouve dans les résidences des fonctionnaires du gouvernement ou des riches marchands et seigneurs.

[...]


F.-X. Garneau, dans son Histoire du Canada français depuis sa découverte, soutient que, « malgré sa singularité, cette institution n’a jamais assombri le ciel du Canada. ». Et E. T. Watson Smith, dans The Slave in Canada, mentionne que les plus éminents historiens de 1889 ont négligé ce « chapitre sombre et peu attrayant ». L’historiographie canadienne a peu changé depuis cette époque. Une brève revue des manuels scolaires utilisés dans les collèges et les universités confirme l’absence de clarté quant à l’esclavage dans l’histoire du Canada. Voir W. L. Morton, The kingdom of Canada, 1963; E. McInnis, Canada : A Political and Social History, 1969; R. C. Harris et J. Warkenton, Canada Before Confederation, 1974. Cette attitude à l’échelle nationale contraste avec les écrits des premiers historiens de Montréal, ceux-ci ayant inclus pour la plupart une chronologie de l’esclavage dans leurs études. Voir Terril, A Chronology of Montreal and of Canada A.D. 1752; H. Berthelet, Montréal le Bon Vieux Temps; Atherton, Montréal, 1535-1914; R. Winks, The Blacks in Canada : A History, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1971, p. 12 Pour un exposé de cet événement et d’autres mesures punitives, voir Negro Slavery in Montreal, Fonds Roy States, Montréal, Université McGill, s. d. : M. Trudel, L’esclavage au Canada français; histoire et conditions de l’esclavage, Québec, Presses de l’Université Laval, 1960; W. Israel, Montreal Negro Community, mémoire de maîtrise en sociologie, Montréal, Université McGill, 1928, p. 66-67; L. Bertley, « Slavery », Focus Umoja I, octobre 1976; L. Bertley, Canada and its People of African Descent, Perrefonds, Bilongo Publishers, 1977; C. Thomson, Blacks in Deep Snow : Black Pioneers in Canada, Ontario, J. M. Dent & Sons Ltd., 1979; D. Williams, « The Black Presence in Montreal : A Multi-Cultural Community », 1983 ; L. Warner, A Profile of the English-Speaking Black Community in Quebec, document préparé par le Comité d’implantation du plan d’action à l’intention des communautés culturelles, Montréal, 1983; The Silent Minority : Canadians of African Descent, essai inédit, Fonds Roy States, Université McGill, v. 1977; C. Marcil, « Les communautés noires au Québec », Éducation Québec, vol 11, no 5, avril 1981.

Source: Williams, Dorothy W., "Les Noirs à Montréal, 1628-1986 : Essai de démographie urbaine" (Montréal: VLB Éditeur, 1998), 24-25.

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